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PROTOCOLES DOCUMENTAIRES I
Émulation de l’administration dans les pratiques artistiques des années 1960 et 1970 au Canada

Protocoles Documentaires I est le premier volet d’un projet qui comportera deux expositions et une publication.

Entre 1969 et 1975, certains artistes canadiens détournent l’usage de gabarits documentaires associés à la bureaucratie (rapports, sceaux, en-tête de lettres, actes notariés, etc.) pour se forger une identité de travailleurs culturels.

Au même moment, ils constituent des corpus d’archives où les retombées de leurs projets semi-fictifs chevauchent de vrais résidus de transactions administratives. Ces fonds se trouvent désormais dans les collections de musées publics et galeries universitaires. Protocoles Documentaires I met en parallèle les stratégies déployées par ces artistes et la gestion de leurs archives au sein de ce nouveau contexte institutionnel.

La tension entre l’accès aux documents sous forme de photocopies et leur préservation en tant qu’originaux est intégrée à l’appareil critique de l’exposition, qui médiatise ces deux régimes de traces.

Par ailleurs, le découpage des pièces sélectionnées contourne la description des sources primaires comme illustrations d’un récit pré- déterminé. Il présente plutôt divers systèmes de traitement d’information opérant simultanément dans les pratiques de chacun des artistes.

– Vincent Bonin

EXPLOREZ

  • Pensez au rapport conflictuel qui existe entre l’art et le commerce et à la façon dont des projets comme ceux de l’exposition orientent notre attention vers des activités qui remettent en cause les domaines de recherche en art. Qu’en est-il des tensions qui existent aujourd’hui entre l’art et les affaires ?
  • Réfléchissez au fait que l’utilisation ironique par les artistes de documents administratifs et d’outils de relations publiques annonce l’émergence des centres parallèles du milieu des années 1970.
  • Réfléchissez à la présence de dispositifs de communication créatifs dans cette exposition grâce au langage, aux concepts et aux symboles utilisés et à l’impact exercé sur les définitions traditionnelles de l’art.
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QUELQUES QUESTIONS

  • À quoi sont parvenus les artistes en devenant ou en agissant comme de véritables entreprises et comment leur utilisation des technologies de communications les a aidés à atteindre leurs objectifs ?
  • Quel est le rapport entre l’art postal et les galeries d’art ? Comment les deux interagissent-ils ? Se mettent-ils à l’épreuve, se modifient-ils l’un l’autre ou se développent-ils ?
  • Comment la notion de la « dématérialisation » se manifeste-t-elle dans les oeuvres de la présente exposition ? Qu’en est-il de la notion de l’« éphémère » ou de l’accent mis sur l’idée ?
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Commissaire : Vincent Bonin

Exposition produite par la Galerie Leonard & Bina Ellen avec l’appui du Conseil des Arts du Canada.

COMMENTAIRE

Sur les documents dans l'exposition

Conservé par le Musée des beaux-arts de l’Ontario, à Toronto, le fonds Iain Baxter fait figure d’exception dans une typologie des archives d’artistes. À un registre familier, il renferme des traces afférentes aux œuvres de Baxter, ainsi que ses activités de pédagogue. Toutefois, ces documents côtoient ceux de la compagnie N.E. Thing Co. de Vancouver Nord – créée en 1966 et enregistrée en 1969 –, dont Iain et Ingrid Baxter sont les coprésidents.

Cette partie du fonds contient elle-même une matière documentaire hétérogène. Les transactions de la compagnie avec certains cadres municipaux génèrent des pièces justificatives offcielles, actes notariés, minutes, correspondance légale, etc. Pour sa part, N.E. Thing Co. produit divers gabarits graphiques afin de publiciser des services offerts par le truchement de ses départements. Ces sceaux, fascicules, feuilles d’information et cartes de visite sont surtout destinés au public complice d’artistes et de critiques, mais confèrent également à l’entreprise une légitimité auprès de représentants du monde des affaires.

Les dossiers des musées publics renferment souvent d’uniques retombées de projets artistiques absentes des fonds d’archives d’artistes. En 1969, sous le commissariat de Pierre Théberge, N.E. Thing Co. installe les « quartiers généraux » de la compagnie au rez-de-chaussée de la Galerie nationale du Canada, à Ottawa. Cet espace retrouve temporairement sa raison d’être, car l’édifice du musée fut d’abord conçu pour abriter des bureaux du gouvernement. Selon une même logique, les résidus d’un travail administratif des employés de l’institution et des documents issus de la manœuvre des artistes sont placés côte à côte dans le dossier de l’exposition. Comme suite à cet événement, N.E.Thing Co. et Pierre Théberge publient un rapport des activités de la compagnie. Dans le cadre d’une rétrospective de l’artiste Joyce Wieland en 1971 intitulée True Patriot Love = Véritable amour patriotique, Théberge subvertit de nouveau le caractère bureaucratique du musée et son rôle d’organe de propagande. Au lieu d’un traditionnel catalogue, l’artiste et le commissaire produisent une publication hybride qui détourne le contenu d’un fascicule du Musée national des sciences sur la flore de l’archipel arctique canadien. Simulant à peu de choses près la couverture de son modèle, Wieland juxtapose les armoiries du Canada et l’intitulé bilingue de l’exposition. En revanche, elle investit le document de manière subjective par l’interpolation de notes manuscrites, de photographies, de feuillets d’un scénario de film et de spécimens de plantes séchées (chacun de ces indices évoque subtilement les œuvres de la rétrospective).

L’usage ironique d’outils de relations publiques et de protocoles documentaires officiels dans ces pratiques précède l’émergence des centres autogérés au milieu des années 1970. Or, d’autres projets antérieurs à ce phénomène pancanadien redéfinissent la fonction de l’artiste comme travailleur culturel. Entre 1969 et 1977, Vincent Trasov, et Michael Morris (avec la participation brève de Gary Lee-Nova) opèrent le réseau Image Bank à Vancouver pour contourner le circuit de l’art. Imaginé lors des premiers balbutiements du projet, le fonds Morris/Trasov (en dépôt à la Morris and Helen Belkin Art Gallery, Vancouver) rapproche les archives personnelles des deux artistes et les retombées des activités d’Image Bank.

Durant ses premières années d’existence, l’organisation compile plusieurs centaines d’adresses d’artistes visuels, cinéastes, critiques d’art, ainsi que leur requête de correspondance (images, lettres, collages, etc.). Les données sont recueillies grâce à un formulaire comprenant des espaces pour inscrire ses coordonnées et requêtes. Une série de fiches semblables servent à cataloguer les documents qu’Image Bank conserve dans son fonds d’archives. Dès 1972, l’organisation publie une première version de liste alphabétique des individus répertoriés. La diffusion de cet outil fait boule de neige en permettant d’étendre le réseau. Corollairement, le fonds accroît sa masse documentaire de façon exponentielle.

Outre leur dimension pragmatique, les stratégies déployées pour administrer ce flux de correspondance représentent une parodie et un renversement utopique des structures bureaucratiques existantes. Morris et Trasov considèrent les documents accumulés comme un capital symbolique qu’ils peuvent réinvestir. Accompagnant la publication de la liste d’adresses, le compte rendu des activités d’Image Bank depuis sa création imite un gabarit de rapport annuel. À l’instar de nombreux collaborateurs (Dana Atchley, General Idea, Ant Farm, etc.), l’organisation produit des logos, une monnaie, du papier à lettres et des tampons.

La prémisse des projets d’Image Bank est fréquemment recyclée chez l’un ou l’autre des participants pour créer un ensemble de mythes communs. Une requête de 1972 sollicitant des images caractéristiques de l’année 1984 suscite plus tard l’iconographie d’anticipation partagée par plusieurs individus du réseau. Dans cet esprit, les modèles de gestion de l’information circulent abondamment sans qu’un artiste en revendique la paternité. En 1973, Glenn Lewis réquisitionne des objets d’usage courant, assemblages divers, etc. Stockées ensuite dans des boîtiers transparents (chacun attribué par les participants à une année entre 1620 et 1984), les missives reçues forment la murale intitulée Great Wall of 1984 de la Bibliothèque du Conseil national de recherches (Ottawa). Depuis 1972, General Idea offre les pages de sa revue FILE pour diffuser plusieurs mises à jour des listes du répertoire d’adresses compilées par Trasov et Morris. En 1974, le collectif officialise l’existence d’archives renfermant de la correspondance avec Image Bank, parmi d’autres documents issus des années d’activités du réseau. Ce fonds est désormais conservé par le Musée des beaux-arts du Canada, à Ottawa.

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POUR DE PLUS AMPLES RENSEIGNEMENTS

Bibliographie

Allan, Ken. « Business Interests, 1969-1971: N.E. Thing Co. Ltd., Les Levine, Bernar Venet and John Latham », Parachute 106, printemps 2002, p. 106-123.

Buchloh, Benjamin H.D. « Conceptual Art 1962-1969: From the Aesthetic of Administration to the Critique of Institutions », October: the Second Decade, 1986-1996, Cambridge, Mass., MIT Press, 1997. p.117-156.

Crane, Michael et Stofflet, Mary, Correspondence Art: Source Book for the Network of International Postal Art Activity, San Francisco, Contemporary Arts Press, 1984.

Lippard, Lucy R, Six years: the dematerialization of the art object from 1966 to 1972, Berkeley, University of California Press, 1997.

Mcluhan, Marshall et Fiore, Quentin, The Medium is the Massage, New York et Toronto, Random House, 1967.

vox image contemporain, site Iain Baxter &

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