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CARNATIONS
Philippe Hamelin, image fixe tirée de la série Sci Fi Haïkus, 2012-. Avec l’aimable concours de l’artiste
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À partir d’un titre fuyant qui glisse entre deux langues, Carnations déjoue toute approche facile pour le visiteur. Le mot français carnation renvoie à la coloration de la peau, en particulier celle de la peau blanche, dans sa généralité et en tant que terme d’histoire de l’art désignant les teintes qui rendent la chair en peinture. En anglais, carnation désigne une fleur qui fleurit en blanc, rose et rouge. Il s’agit donc, d’une part, de la question de la ressemblance en art autant que de la couleur de la chair vivante et, d’autre part, d’une plante et d’un organisme vivant. Évoquant à la fois l’artifice et le réel, l’emploi du mot carnations au pluriel met l’accent sur d’éventuelles variations et mutations. En associant des œuvres nouvelles et des œuvres modifiées, Carnations propose donc aux visiteurs de faire l’expérience des états, des formes et des sentiments d’indétermination, de liminalité et de changement qui interviennent dans la pratique de Hamelin.

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Travaillant d’abord en animation et puisant dans sa formation en études cinématographiques, Hamelin combine la plasticité du modelage en 3D avec les techniques cinématographiques de montage, de prise de vue et de cadrage dans le but de mettre en scène des associations et des juxtapositions instables autant à l’intérieur d’œuvres particulières qu’à travers leur présentation dans la galerie. Dans une des suites d’œuvres, l’alternance constante des modifications entre les séquences filmées et les animations abstraites provoque des sentiments d’anxiété et une impression de suspense. Les œuvres mettant en scène des organismes de chair et des formes humaines exploitent le caractère vivant de l’animation, brouillant les frontières qui distinguent l’étude de l’art et l’observation des formes de vie, tout comme un exercice de camouflage désoriente toute différentiation aisée entre une chose et son arrière-plan ou son environnement.

La technique de l’animation, commune à toutes les pièces, suscite les questions de l’affectabilité et de la possibilité d’être mis en mouvement. Toutefois, à cause de leur flexibilité, les corps et les formes animés sont aussi susceptibles de manipulation, immobilisés en quelque sorte entre l’émotif et le mécanique, le spontané et la formule, l’automatisme et l’habitude. Le visiteur doit aussi trouver une façon de se déplacer dans la galerie. Dès le premier pas dans le vestibule rose de l’entrée, une antichambre aux fenêtres teintes et illuminés par des lumières rouges, le sentiment de la fonction de l’exposition comme intervalle, brèche dans l’habitude et décalage, s’élargit davantage.

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BIBLIOGRAPHIE

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Produit avec l’appui du Frederick and Mary Kay Lowy Art Education Fund.

COMMISSAIRE

Michèle Thériault

Michèle Thériault est commissaire, critique et éditrice. Elle s’intéresse aux enjeux traductifs en art, aux cadres de références, au lieu d’exposition et à la connaissance en art. Depuis 2003, elle est directrice de la Galerie Ellen de l’Université Concordia où elle a mis sur pied une programmation qui réfléchit à la production artistique actuelle et l’activité curatoriale dans un dialogue avec l’histoire récente de l’art contemporain. Elle a commissarié de nombreuses expositions avec des artistes d’ici et d’ailleurs dont Timelength avec de Rijke et de Rooij, Snow, Warhol, Grandmaison (2004); Claude Tousignant. Trois peintures, une sculpture, trois espaces (2005); la première exposition en Amérique du Nord des installations du cinéaste allemand Harun Farocki: One doesn’t take the place of the previous one (2007); Silvia Kolbowski. Nothing and Everything (2009), Kent Monkman: My Treaty is With The Crown (2011). Elle a également été co-commissaire de Trafic. L’art conceptuel au Canada 1965-1980. Elle a édité de nombreux ouvrages et signé des essais divers.

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ARTISTE

Philippe Hamelin

Philippe Hamelin détient une maîtrise en Beaux-Arts de l’Université Concordia et une majeure en Études Cinématographiques de l’Université de Montréal. Ses œuvres ont été présentées en galerie de même que dans de nombreux festivals, au Canada et à l’étranger. En 2015, il a été récipiendaire du prix pour le meilleur film d’art et expérimentation décerné par les Rendez-vous du cinéma québécois et le Centre PRIM. Il vit à Montréal et enseigne à l’Université du Québec en Outaouais et au Cégep de l’Outaouais.

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Auteure invitée

Ji-Yoon Han

Titulaire d’une maîtrise en littératures de langue française (création littéraire), Ji-Yoon Han termine actuellement une thèse de doctorat en histoire de l’art à l’Université de Montréal. Elle y interroge la concomitance, au tournant des années 1920 et 1930, entre le développement des pratiques surréalistes de la photographie et l’avènement d’une nouvelle culture visuelle fondée sur la diffusion massive de l’image photographique. À l’automne 2017, elle rejoint l’équipe de la Fonderie Darling au titre de commissaire.

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Essais

L’espace règne, par Ji-Yoon Han

Se distinguant à peine d’un fond d’une blancheur de lait, une poche muqueuse aux contours irréguliers, visiblement grosse, remue ; elle se contracte, se met au travail et progressivement s’entrouvre par un orifice — lequel se dilate, se déplisse insensiblement, laisse surgir d’abord un éclat de nacre rosée, puis une forme bombée, jusqu’à pondre enfin, au terme d’un long labeur, une larve biscornue, parfaitement lustrée. Non loin, c’est une forme de gousse, blanche elle aussi, qui se fend sur la longueur et s’exfolie peu à peu : dans sa valve repose un fruit oblong — à moins que ce soit une vésicule ou quelque nymphe émergeant de son cocon ; quoiqu’immobile, l’organisme manifestement en pleine mutation est parcouru d’éclairs d’aurore boréale, comme s’il portait en lui les irisations de futures ailes ou écailles.

[…]

L’intégralité de l’essai peut être lue sur la page de l’exposition et téléchargée dans la section Textes et documents de ce site. Une version imprimée est également disponible en galerie.

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Espaces liminaux, par Michèle Thériault

La scène d’ouverture du long métrage Le Mépris de Godard (1963) offre au spectateur une triple stratification : un travelling dans lequel on observe le mouvement de la caméra sur des rails, le caméraman et le perchiste dans le chariot roulant qui suivent leur sujet, l’actrice Georgia Moll (jouant Francesca), alors que simultanément le cinéaste énonce le générique d’ouverture. Le plan se termine lorsque la caméra se tourne et vise directement, dans un plan fixe, le spectateur/caméra—l’autre caméra, la vraie, celle qui capte ce que nous venons de voir. Une rencontre condensée et réflexive d’une narration à venir, de réalité et de fiction, d’autorité auctoriale, d’énonciation, d’image, de contexte, de travail et de réception.

[…]

L’intégralité de l’essai peut être lue sur la page de l’exposition et téléchargée dans la section Textes et documents de ce site. Une version imprimée est également disponible en galerie.

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ŒUVRES

Les amis (à l’infini), 2014-2017

2017-09-01-EllenCarnations-026Les amis (à l’infini), 2014, version multipiste, 2017
Animation d’images de synthèse, son
Projection vidéo : 4 min 10 s

Avec l’aimable concours de l’artiste

L’artiste remercie Jonathan Demers et Vincent Leduc pour leur assistance au son ainsi que Julie Tremble pour son assistance à l’animation.

Les amis présente un groupe de silhouettes à l’apparence humaine dansant frénétiquement sur un rythme techno répétitif dans un espace ouvert, sans horizon et en dégradés vert lime. Travaillant de mémoire, Hamelin a modelé les corps et les mouvements de danse à partir d’un groupe d’amis.es proches. Avec leurs formes simplifiées, indécises quant au genre, les frontières entre l’individu et le groupe sont constamment déjouées alors qu’ils ou elles dansent, tombent et se relèvent l’un.e l’autre, leurs torses se tordant dans d’étranges angles et amplifiant leurs mouvements, leurs cheveux et leurs membres semblant passer à travers leur propre corps et ceux qui les entourent, jusqu’à ce qu’ils se fondent complètement dans l’arrière-plan. Absorbés.es par la musique et leur rassemblement, les amis.es sont figés.es dans un étrange état d’abandon infini. Se développant dans le non-environnement de leur milieu plein de couleurs, leurs ébats versent dans la désincarnation et la désarticulation. Une fracture dans les différentes formes d’affectabilité, entre les différentes façons d’être en mouvement – le mouvement comme manipulation ou le mouvement comme réaction –, se propage dans toute la galerie en même temps que la musique envahit l’espace des visiteurs.seuses.

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  • La tension entre la liberté des mouvements des amis.es et le contrôle et la fermeture d’ensemble de l’animation, même si elle se déroule à l’infini.
  • Les limites instables du corps. Comment, par la suspension de certaines normes du processus d’animation, la chair n’apparaît plus comme une barrière extérieure qui distingue l’individu parmi les amis.es.
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Jungle, 2013-2017; Camouflage bureaucratique (prédateur), 2013

2017-09-01-EllenCarnations-101Jungle, 2013, version ambiante, 2017
Impression sur vinyle

Avec l’aimable concours de l’artiste

2017-09-01-EllenCarnations-099Camouflage bureaucratique (prédateur), 2013
Animation d’images de synthèse
Écran ACL

Avec l’aimable concours de l’artiste

Ainsi que les titres le suggèrent, Camouflage bureaucratique (prédateur) et Jungle font tous deux référence à des états de similitude et d’assimilation où la distinction entre objet et arrière-plan est brouillée. Empruntant les motifs des enveloppes de sécurité qui rendent impossible la lecture des documents qu’elles contiennent, Hamelin transforme ce graphisme opaque en un environnement servant à une autre forme de dissimulation. Ressemblant à une jungle, le motif devient une étendue dense et infranchissable. Flottant ou passant devant, un polyèdre porte le même motif sur ses différentes faces. Répondant à son environnement, empruntant ainsi une qualité animale comme celle de la prédation, cet objet devenu organisme évoque la pensée sociale du théoricien surréaliste Roger Caillois sur le mimétisme. Pour ce dernier, le camouflage ne se réduit pas à une preuve de l’adaptation inhérente au processus d’évolution et à des stratégies de survie, il peut constituer aussi le signe d’une renonciation à la représentation et d’une absorption de la vie individuelle dans son environnement. Cette perturbation de la distinction et ce jeu sur la ressemblance sont les clés du travail de Hamelin : elles invitent les spectateurs à tenter de définir les frontières entre le réel et le construit, entre l’animé et le statique.

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  • Comparez l’action de distinguer la forme cachée ou tapie dans Camouflage bureaucratique (prédateur) à l’observation des organismes présentés dans Vivariums.
  • Réfléchissez aux états de passivité et de don sous l’influence de l’environnement en relation avec l’installation et l’espace de la galerie.
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Vivariums, 2017

2017-09-01-EllenCarnations-025Vivariums, 2017
Animations d’images de synthèse
Écrans ACL : 5 min ; 48 min 36 s ; 10 min ; 22 min 05 s

Avec l’aimable concours de l’artiste

L’artiste remercie le Conseil des arts du Canada, Phil Hawes, Oisin Burns, Tim Sutton, Stan Swiercz et le Centre for Digital Arts, Université Concordia, ainsi que Julie Tremble pour leur assistance à l’animation.

S’apparentant à l’expérience visuelle d’un musée d’histoire naturelle, d’un zoo ou d’un aquarium, Vivariums comprend quatre moniteurs encastrés dans un mur étroit et autoportant. Deux des moniteurs présentent chacun un organisme animé imitant et résumant un processus de vie. Le premier se contracte et se détend alors qu’il produit une forme miroitante. La peau ou l’enveloppe semblable à du crêpe d’une autre forme oblongue s’ouvre pour révéler à l’intérieur la pulsation d’une forme multicolore. D’une durée de trente minutes, ces animations de naissance et de mue sont accompagnées de deux autres animations de formes presque statiques qui donnent peu de preuve de vie ou de mouvement. Ces quatre organismes étant tous suspendus sur un arrière-fond monochrome et les moniteurs intégrés au mur, la structure emprunte les caractéristiques d’un réceptacle, d’un contenant et d’un environnement partagé. Il s’agit cependant d’un espace incertain pour la saisie et la catégorisation : d’une part, le processus animé de changement et de reproduction confère aux formes une présence animale alors que, d’autre part, un couple de formes presque immobiles ressemblent davantage à des images qu’à des organismes.

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  • Remarquez le reflet sur la forme qui vient d’émerger. Que révèle-t-il ? L’environnement réfléchi correspond-il à l’espace de la galerie ? Si cette image est la demeure ou l’habitat de l’organisme, comment votre compréhension de la créature et de son processus change-t-elle ?
  • Pensez au temps nécessaire pour observer l’ensemble des processus de naissance et de mue ou, inversement, le calme des formes immobiles ou au repos. Jusqu’à quel point vous engagez-vous dans une forme d’observation adaptée à l’art et aux médias et à quel moment passez-vous à un regard semblable à celui de l’observation d’un animal en captivité ?
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Sci Fi Haïkus, 2012-

2017-09-01-EllenCarnations-088Point de fuite, 2017
Animation d’images de synthèse, vidéo, son
Projection vidéo : 5 min 24 s

Avec l’aimable concours de l’artiste

L’artiste remercie le Conseil des arts et des lettres du Québec et Julie Tremble pour son assistance à l’animation.

2017-09-01-EllenCarnations-076Expiration, 2017
Animation d’images de synthèse, vidéo, son
Projection vidéo : 3 min 42 s

Avec l’aimable concours de l’artiste

L’artiste remercie le Conseil des arts et des lettres du Québec et Julie Tremble pour son assistance à l’animation.

2017-09-01-EllenCarnations-064Translation, 2012
Animation d’images de synthèse, vidéo, son
Projection vidéo : 2 min 24 s

Avec l’aimable concours de l’artiste

L’artiste remercie Julie Tremble pour son assistance à l’animation.

Dans une séquence rythmée de modifications, chaque « haïku » juxtapose une animation en haute définition de prismes rectangulaires bougeant dans l’espace à des vignettes vidéo « pauvres » ou de type amateur captées par Hamelin. Sans privilégier les animations silencieuses et minimales ni les séquences incluant le son environnant ou diégétique, les séquences sont réunies dans une pulsation alternée de montages saccadés. Se déployant à tour de rôle, ces interruptions suscitent à divers degrés le suspense et l’anxiété, comme dans le cas de Point de fuite où la chorégraphie abstraite des deux formes dans l’espace est ponctuée par la séquence d’une vue de l’intérieur d’un train qui fonce sur des rails rectilignes dans un paysage d’hiver ou, comme dans Translation, par le jacassement grinçant d’une volière au Jardin des Plantes à Paris. Tout en suivant la même structure, Expiration relâche un peu de cette tension, permettant une perception formelle plus calme qui alterne entre une séquence en gros plan d’une poitrine qui respire et, une fois de plus, de deux formes blanches se rencontrant dans l’espace. Dans chacune de ces trois œuvres, l’interruption permet l’entrelacement et la simultanéité mène à la synchronisation, alors que les deux formes géométriques se rencontrent et se fondent dans une unique masse et que le son associé au tournage dans le monde réel s’étend au domaine de l’animation.

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  • Le spectacle comparé du réel et du construit, des séquences situées et des animations virtuelles, de la caméra installée dans le monde et des vues de formes dans l’espace produites sans caméra.
  • La distribution, l’échelle et le rythme des projections dans la galerie. Comment l’installation des œuvres permet d’extrapoler les qualités géométriques et temporelles constitutives de chaque vidéo.
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Scène 2 (découpage), 2014-2017

2017-09-01-EllenCarnations-050Scène 2 (découpage), 2014-2017
Animation d’images de synthèse, vidéo, son
Projections vidéo : 5 min 08 s

Avec l’aimable concours de l’artiste

L’artiste remercie Julie Tremble pour son assistance à l’animation.

Scène 2 réfère au film Le Mépris de Jean-Luc Godard, qui date de 1963. Adapté du roman Il Disprezzo d’Alberto Moravia, le film de Godard raconte et traque la détérioration et la fin de l’amour d’une femme (Brigitte Bardot) pour son mari (Michel Piccoli), auteur et scénariste qui travaille à une adaptation de l’Odyssée d’Homère pour un producteur étasunien. Hamelin modèle son animation à partir de la seconde scène du film, où Brigitte Bardot, étendue au lit, nue aux côtés de son mari habillé, détaille les parties de son corps, des pieds au visage, évaluant sa satisfaction à chaque point de son investigation. Dans l’animation de Hamelin, un gros amas de viande repose sur une surface blanche moelleuse. Associée à une bande-son constituée d’un collage d’extraits de la partition musicale de Georges Delerue écrite pour le film, la forme est explorée en reproduisant la séquence des prises de vue qui traquaient le corps de Brigitte Bardot. Dans le film de Godard, le processus autoréflexif d’analyse et d’objectivation de son corps est surligné par des filtres rouges, bleus et jaunes, procédé que Hamelin adopte conséquemment dans sa propre séquence. Jadis au zénith de l’abstraction moderniste radicale issue de l’avant-garde soviétique – pensons au triptyque de Rodchenko de 1921, Couleur rouge pure, Couleur bleue pure, Couleur jaune pure –, après la Deuxième Guerre mondiale, le monochrome et ses avatars ont vite été considérés comme des produits américains et capitalistes, jugement que la série de Barnett Newman Who’s Afraid of Red, Yellow and Blue, produite de 1966 à 1970, a habilement mis en lumière. Alors que Godard se montre attentif à de telles formes d’aliénation politique et esthétique dans son film, Hamelin choisit un angle plus surréel à partir duquel revenir à la scène d’origine, poussant le jeu d’objectification de Brigitte Bardot à son fondement ultime. Présenté sans le dialogue du film et inondé d’une musique empreinte de pathos, la masse muette manifeste une présence qui n’est pas tout à fait humaine. L’expérimentation menée par Hamelin se tient sur une mince ligne, au risque soit d’accroître le sexisme que Bardot cherche à subvertir, soit de proposer une issue radicale à toute évaluation simpliste du sujet humain. Dans la galerie, les projections alternent entre l’étude de l’amas de viande et la séquence filmée de la surface de l’eau prise à partir d’un bateau, laquelle fait référence à la scène finale du livre de Moravia où, au bord de la mer, le scénariste a une vision de son amante telle qu’il l’a d’abord connue.

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  • Comparez les projections en alternance de Scene 2 telles que disposées dans la galerie aux modifications contrastées et à l’ensemble de l’installation qui constituent les trois pièces de la série Sci Fi Haïkus. Quels types d’effets ont-elles sur l’expérience de la vision ? Suscitent-elles des sentiments particuliers? Suggèrent-elles un récit ?
  • La texture marbrée de l’amas de viande est tirée de photographies de véritable viande. Pensez à la façon dont le réel est introduit dans l’image fabriquée. Quel est l’effet de cette intrusion du réel ? Qu’est-ce que le réel y ajoute? Suscite-t-il un affect d’une manière différente ou inaccessible dans l’expérience de vision d’une imagerie générée par ordinateur ?
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