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Lorenza Böttner : requiem pour la norme
Lorenza Böttner, Face Art, 1983, photographie n/b. Collection particulière.
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29 avril – 19 juin 2021

Commissaire : Paul B. Preciado

Traduction : André Lamarre

Produit avec l’appui du Frederick and Mary Kay Lowy Art Education Fund.

Commissariée par le philosophe Paul B. Preciado, l’exposition Lorenza Böttner: requiem pour la norme est la première étude monographique de l’artiste chilienne allemande Lorenza Böttner. Personne trans et sans bras, Böttner travailla en peinture, danse, performance, photographie, et installation, à produire un ensemble d’œuvres célébrant son expression de genre, tout en transgressant et en refusant les valeurs capacitistes et la normativité du genre. Elle produisit sur une période de seize ans plus de deux cents œuvres faisant usage de sa bouche et de ses pieds et performa souvent dans l’espace public de la rue. Ce travail est présenté dans l’exposition ainsi que des vidéos documentaires, de la correspondance et des photographies tirées de ses archives.

L’œuvre de Böttner fut d’abord présentée à documenta 14 par Preciado pour ensuite faire l’objet d’une rétrospective au Württembergischer Kunstverein, Stuttgart et à La Virreina Centre de la Imatge, Barcelone. Cette exposition fut récemment présentée au Art Museum at the University of Toronto.

Les ressources qui suivent incluent des extraits de l’essai de Preciado, des mots clés et des pistes de réflexion, des références bibliographiques, et des descriptions audio des œuvres sélectionnées.

Biographies

Lorenza Böttner

Lorenza Böttner est né.e au Chili en 1959 et assigné.e le sexe masculin à la naissance. À l’âge de huit ans elle/il perd ses deux bras à la suite d’un accident escaladant un pylône électrique. En 1969 sa mère Irene Böttner s’installe avec son enfant en Allemagne pour qu’elle/il puisse avoir accès à des thérapies spécialisées. Institutionnalisé.e elle/il refuse les prothèses et d’être élevé.e comme un.e enfant handicapé.e et se tourne vers le dessin, la peinture et la danse. C’est lors de ses études à la Gesamthochschule Kassel de 1978 à 1984 qu’elle/il adopte une identité de femme et change son nom à Lorenza. Durant sa courte carrière, Lorenza voyage beaucoup en Europe, au Chili et aux États-Unis notamment à New York où une bourse lui permet d’étudier la danse et la performance à la New York University, Steindhardt. Elle est en outre photographiée par Joel-Peter Witkin et Robert Mapplethorpe. Elle devient également Petra la mascotte des Jeux paralympiques de 1992 à Barcelone. Sa vie fait aussi l’objet d’un documentaire de Michael Stahlberg qui la fait figurer dans une publicité de la marque de peinture Faber-Castell. En 1994, à l’âge de 34 ans, elle décède de complications liées au VIH.

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Paul B. Preciado 

Paul B. Preciado est philosophe et commissaire d’exposition. Il est un des penseurs contemporains les plus importants dans les études de genre, des politiques sexuelles et du corps. Boursier Fulbright, il a d’abord étudié à la New School for Social Research de New York, où il fut élève d’Agnes Heller et de Jacques Derrida. Puis il est devenu docteur en philosophie et théorie de l’architecture à l’Université de Princeton. Il a occupé les postes de commissaire des programmes publics à documenta 14 (Cassel / Athènes), directeur de recherche au Musée d’art contemporain de Barcelone (MACBA) et a enseigné la philosophie du corps et la théorie transféministe à l’Université de Paris VIII-Saint-Denis et à la New York University. Suivant les traces de Michel Foucault, Monique Wittig, Judith Butler et Donna Haraway, il est l’auteur de Manifeste Contra-Sexuel (2001), Testo Junkie. Sexe, drogues et biopolitique (2008), Pornotopie. Playboy et l’invention de la sexualité multimédia (2011), Un appartement sur Uranus (2019) et Je suis un monstre qui vous parle (2020), tous des références dans le champ de l’art et l’activisme queer, trans et non-binaire. Il publie ses chroniques régulièrement dans Libération et Médiapart. Il est né en Espagne et vit à Paris.

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Essai

Lorenza Böttner : requiem pour la norme [extrait]

Paul B. Preciado

Ignorée jusqu’à présent par l’historiographie de l’art, l’œuvre de Lorenza Böttner — une artiste qui peignait avec sa bouche et ses pieds et utilisait la photographie, le dessin, la danse, l’installation et la performance comme moyens d’expression esthétique — apparaît aujourd’hui comme une contribution indispensable à l’histoire de la peinture et de la performance de la fin du xxe siècle ainsi qu’à la critique contemporaine de la normalisation du corps et du genre.

Exercices de résistance au regard médical qui réduit le corps avec diversité fonctionnelle ou trans au statut de spécimen exotique et d’objet, les œuvres de Lorenza Böttner se caractérisent non seulement par le recours à l’autofiction, à l’imitation dissidente de formes visuelles issues de l’histoire de l’art et à l’expérimentation corporelle, mais aussi par la remise en question de la distinction disciplinaire entre les « genres » — entre peinture, danse, performance et photographie, mais aussi entre l’objet et le sujet, le masculin et le féminin, l’homosexualité et l’hétérosexualité, le corps normatif et le corps trans, l’actif et le passif, le valide et l’invalide. Cette exposition, la première rétrospective internationale dédiée à l’artiste, pose la question suivante : dans quel régime de représentation un corps peut-il se donner à voir en tant qu’humain ? Qui a le droit de représenter ? Qui est le sujet produit par la représentation ? Quelle est la puissance de subjectivation et d’assujettissement d’une image ? Existe-t-il une distinction esthétique entre une image créée par la main et une autre tracée par le pied, ou cette distinction relève-t-elle plutôt d’un rapport de pouvoir ?

[…]

L’intégralité de l’essai peut être lue sur la page de l’exposition et téléchargée dans la section Textes et documents de ce site. Une version imprimée est également disponible en galerie.

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Explorez

L’identification

Dans sa pratique comme dans sa vie, Lorenza Böttner a maintenu un engagement inconditionnel envers son identité et sa situation qui dérogeaient aux normes de genre et de capacité. On peut voir une série de documents fournissant des renseignements personnels sur Lorenza dans la vitrine au mur située près de la série photographique Face Art. Penchez-vous sur les documents de la vitrine et posez-vous les questions suivantes :

Quels documents ont été rédigés par Lorenza ? Lesquels lui ont été adressés ? Quels documents proviennent d’organismes, d’institutions ou de l’état ? Comparez les différents aspects sous lesquels Lorenza est y présentée. Élargissez la comparaison à ses expérimentations de l’autoportrait, aux récits qu’elle rapporte dans le documentaire Lorenza: Portrait of an Artist et à ses recherches sur les freak shows.

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Le toucher, le contact et le désir

La pratique de Lorenza dirige l’attention sur elle-même à travers le portrait et la performance en solo. Déplacez votre regard vers des éléments de l’exposition où apparaissent de multiples figures et où le toucher joue un rôle.

Comment la sexualité, l’érotisme et l’intimité sont-ils représentés? Où la vulnérabilité apparaît-elle ? À quel endroit les frontières entre les corps commencent-elles à s’estomper ? À quel moment Lorenza est-elle visiblement présente et quand est-elle absente? Où nous trouvons-nous face à la solitude ? Sinon, où et comment les objets prennent-ils la place du corps ou des corps ? Et par quels moyens Lorenza parvient-elle à questionner le statut présumé de la main comme instrument privilégié du toucher ?

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La confection de soi

Une habile couturière, Lorenza a dessiné et confectionné plusieurs de ses vêtements et de ses costumes en vue de ses performances, de ses séances photo, ainsi que pour la vie quotidienne. Ces tenues qui célébraient son corps et sa personne s’inspiraient de l’histoire et des sous-cultures de la mode, et rendaient possibles le jeu de rôles et la fantaisie. Dans d’autres circonstances, elle a revêtu des costumes qui risquaient de donner une vision restrictive du handicap et du genre, comme l’observe Preciado à propos de son rôle de Petra, la mascotte des Jeux paralympiques de 1992.

Lors de votre parcours de l’exposition, observez la place et la fonction des vêtements et des costumes dans le travail de Lorenza. Comment Lorenza les conçoit-elle pour elle-même – non seulement pour son corps en tant qu’individu dont les membres présentent des différences, mais pour ses mouvements et pour ses désirs ? Comment Lorenza travaille-t-elle sur les modèles classiques ou familiers ? Quelles possibilités accentue-t-elle dans ses conceptions plus fantasques ? À quel moment utilise-t-elle le vêtement pour exposer le corps ? À quel moment le vêtement sert-il à cacher ou à déformer le corps ? Et que dire de ses dessins adaptés à des corps non handicapés ?

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Fixer du regard

À partir de la compréhension que le fait de regarder est un moyen d’objectiver et d’exploiter les personnes handicapées et transgenres, étudiez les différentes manières par lesquelles Lorenza agit sur le regard du public dans le but de le subvertir.

À partir de la performance de Lorenza mettant en scène la Vénus de Milo, pouvez-vous identifier d’autres œuvres où elle dirige le regard du public ? De quelles façons Lorenza utilise-t-elle la durée pour amener le public hors de sa distance confortable ? À quel endroit Lorenza retourne-t-elle le regard du public pour en faire un objet d’étude ? À quel endroit Lorenza partage-t-elle son expérience d’être une personne que l’on regarde ? Quelles autres façons d’être témoin sont-elles en jeu dans son travail ?

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MOTS CLÉS

La pharmacopornographie et le somatopolitique

Concept élaboré par Paul B. Preciado dans son livre Testo Junkie. Sexe, drogue et biopolitique (Paris, Grasset & Fasquelle, 2008), la pharmacopornographie décrit la production et le contrôle de la subjectivité sexuelle sous le capitalisme. Il s’agit du prolongement du terme somatopolitique, telle que théorisé par le philosophe Michel Foucault. Le préfixe somato- provient du mot grec désignant le corps. Alors que Foucault a étudié la longue histoire, à travers la modernité, de la surveillance et de la gestion des corps, de la différence et du désir, Preciado affirme que le capitalisme contemporain a maintenant mobilisé les technologies médicale, neurologique et numérique dans le but ultime de s’insérer dans les corps et les esprits et de s’y installer. Au service du profit, la pharmacopornographie exploite les vies aux plans mental, sexuel, émotionnel et biologique, en fabriquant des consommateur·trice·s et des travailleur·euse·s assujetti·e·s à ses technologies, à ses substances et à ses procédures.

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Le disenfreakment

Le terme enfreakment renvoie à la construction culturelle de la figure du freak (il signifie la constitution et l’imposition d’une représentation du monstre). En faisant spectacle du handicap, du genre, de la sexualité et de la race, l’enfreakment exhibe les différences. Ce processus objective les personnes dont le corps ne répond pas aux normes et les met en scène en tant qu’altérité face à la normativité présumée du public.

À l’inverse, le disenfreakment caractérise les actions qui visent à s’approprier, puis à réagencer, à recoder et à repenser les caractéristiques du freak. Le disenfreakment retourne l’enfreakment sur lui-même en dévoilant la manière dont il impuissante et dénigre. Alors que l’enfreakment identifie une personne comme freak dans le but de la contrôler, le disenfreakment détourne les codes de l’enfreakment et active la conception de l’identité comme processus en évolution constante. Le ou la freak prend alors la forme d’une autoreprésentation et ouvre une tribune pour répliquer au public, plutôt que de se soumettre à lui.

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La transchronologie

À propos des jeux de rôle toujours changeants de Lorenza, Preciado écrit : « Lorenza n’était pas simplement transgenre, elle était transchronologique. » Cette affirmation de Preciado définit les jeux d’identité de Lorenza comme une forme de voyage dans le temps. En tant que telle, la « chronologie » implique une succession ordonnée des événements à travers le temps.  Qualifiée de trans, cette progression linéaire est perturbée. Le fait d’être transchronologique consiste à interrompre et à outrepasser la trame du temps, à s’y déplacer dans un mouvement d’aller-retour, à dévoiler l’histoire comme un conglomérat de petites histoires plutôt qu’un unique récit officiel. À l’opposé de la conception transhistorique, qui identifie une réalité éternelle, absolue et inchangée à travers le passage du temps, la transchronologie peut être pensée comme un ensemble de variations illimitées qui affectent le passage du temps et s’y superposent.

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Le crip

Issu d’une abréviation du mot péjoratif cripple (handicapé·e, estropié·e, infirme), le terme crip repense le mot et le réhabilite comme une attitude critique et comme une forme d’action. Au contraire de son terme d’origine, il désigne une résistance à toute norme basée sur une forme de capacité. Il signale un refus d’une conception des droits des personnes handicapé·e·s qui s’arrête à la reconnaissance et à l’intégration tout en omettant d’analyser et de travailler à changer les systèmes qui conduisent à l’exclusion, à l’oppression et à l’exploitation. Le verbe to crip signifie se concentrer sur le handicap et exposer les contradictions et la violence d’une culture et d’une société qui privilégient la capacité. Le crip peut être compris comme un processus radical ouvert aux rencontres avec d’autres attitudes et expériences. Remarquez l’utilisation que fait Preciado du terme trans-crip dans son essai curatorial ainsi que les expressions queer crip pride et trans-crip love dans les textes reproduits au mur.

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DOCUMENTAIRE

Lorenza: Portrait of an Artist

Lorenza: Portrait of an Artist. Réalisé par Michael Stahlberg, 1991.

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DESCRIPTIONS AUDIO

Introduction

Destinées aux personnes aveugles ou malvoyantes, ces descriptions présentent l’exposition et se concentrent sur cinq œuvres correspondant à différents aspects de la démarche de Lorenza. Elles sont aussi disponibles pour toute personne qui ne peut se rendre sur les lieux de l’exposition et qui désire faire l’expérience des œuvres par le biais d’une description orale.

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Sans titre (performance de rue)

 

Photographies noir et blanc. Non datés. 64.5 x 53.5 cm / 25 ¼ x 21 ¼ po (chaque cadre)

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BIBLIOGRAPHIE

Par Paul B. Preciado

Je suis un monstre qui vous parle : rapport pour une académie de psychanalystes. Paris : Grasset, 2020.

Un appartement sur Uranus : chroniques de la traversée. Paris : Grasset, 2019.

Pornotopie : Playboy et l’invention de la sexualité multimedia. Traduit de l’espagnol par Serge Mestre et Beatriz Preciado. Paris : Climats, 2011.

Testo junkie : sexe, drogue et biopolitique. Traduit de l’espagnol par l’auteur. Paris : Grasset, 2008.

Manifeste contra-sexuel. Paris : Éditions Balland, 2000.

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Textes supplémentaires

Baril, Alexandre. « Hommes trans et handicapés : Une analyse croisée du cisgenrisme et du capacitisme ». Genre, sexualité & société 19 (Printemps 2018). http://journals.openedition.org/gss/4218

Califia, Pat. Le mouvement transgenre : changer de sexe. Paris : EPEL, 2003.

Espineira, Karine, Maud-Yeuse Thomas, et Arnaud Alessandrin. Corps Trans/Corps Queer. Paris : Harmattan, 2019.

Moyse, Danielle. Handicap : pour une révolution du regard : Une phénoménologie du regard porté sur les corps hors norms. Grenoble : Presses Universitaires de Grenoble, 2010.

Namaste, Viviane. C’était du spectacle! : L’histoire des artistes transsexuelles à Montréal, 1955-1985. Montréal : McGill-Queen’s University Press, 2005.

Olivier, Grim R. Vers une socio-anthropologie du handicap. Paris : Harmattan, 2019.

Puiseux, Charlotte. « Handicap + queer = crip ». Les Ourses à plumes 1, no 1. https://lesoursesaplumes.info/2018/12/11/handicap-queer-crip/

Parent, Laurence. « Ableism/disablism, on dit ça comment en français ? ».  Canadian Journal of Disability Studies 6, no 4 (Juin 2017). https://doi.org/10.15353/cjds.v6i2.355

Tabin, Jean-Pierre et Céline Perrin, dir. Repenser la normalité: Perspectives critiques sur le handicap. Latresne : Le Bord de l’eau, 2019.

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