Inauguré en 2012 à l’occasion du 50e anniversaire de la collection permanente de la Galerie Leonard & Bina Ellen, le programme d’expositions satellites SIGHTINGS a été conçu comme une plateforme d’expérimentation et de réflexion critique afin de questionner les possibilités et les limites de l’espace du «cube blanc» moderniste. Dans le cadre de la programmation 2015-2016, des artistes et des commissaires sont invités à s’intéresser de plus près aux mécanismes invisibles qui conditionnent la production et la diffusion de l’art, et à trouver de nouvelles stratégies pour les révéler au public. S’articulant autour de la problématique du travail et des enjeux que pose l’économie «immatérielle» de la culture, les projets présentés cette année permettent de reconsidérer certains aspects du fonctionnement de l’art qui, normalement, échappent au regard des spectateurs : de la distribution des rôles entre les différents acteurs du milieu artistique (artistes, commissaires, techniciens, assistants, médiateurs, etc.) aux rapports de force qui régissent leurs activités respectives, en passant par la remise en question du partage traditionnel entre le travail manuel et le travail intellectuel, la conception et l’exécution, la création et la production discursive.
SIGHTINGS est situé au rez-de-chaussée du Pavillon Hall au 1455 boul. de Maisonneuve Ouest.
17 mars au 20 juin 2016
Un projet de Catherine Lescarbeau
Documents complémentaires
Promenades
Promenades fait le lien entre la Galerie Leonard & Bina Ellen, située dans le pavillon J.W. McConnell, et le cube d’exposition de SIGHTINGS situé dans le pavillon Hall du campus du centre-ville de l’Université Concordia.
L’essai important de Robert Walser, La promenade, développe un prisme iridescent d’observations et d’associations de pensées suscitées par une courte balade urbaine. Nous demandons à des artistes, à des écrivains et à d’autres participants aux projets de SIGHTINGS d’élaborer pour Promenades une pensée, apparemment éphémère, telle qu’elle aurait pu survenir pendant la réalisation de l’œuvre présentée.
Cette pensée peut prendre la forme d’un parcours commenté, d’une performance, d’un court exposé, d’une lecture. Les seules contraintes formelles sont les suivantes : le rassemblement se fait à l’un des deux lieux, le parcours se termine à l’autre et la Promenade ne dure pas plus de trente minutes.
Promenades est une formule récurrente.
Troisième promenade
Parcours avec Catherine Lescarbeau et François Lambert
Le jeudi 7 avril à 12 h
Plus d’informations sur la promenade ici.
À partir d’une analyse provisoire des plantes disposées dans les salles lors du montage de l’exposition N.E. Thing Co. Environment au Musée des beaux-arts du Canada en 19691, j’ai développé une pratique artistique post-conceptuelle qui interroge le rôle des plantes au sein des institutions et, plus précisément, leur utilisation possible comme moyen d’explorer les frontières institutionnelles de l’art. À travers mes recherches, j’ai remarqué que ces plantes ajoutaient un élément organique étrange à l’intérieur de la structure rigide qu’est l’institution muséale. Bien que tenues pour acquises, une fois notre regard porté sur elles, les plantes d’intérieur deviennent des anomalies, des paradoxes et des marqueurs d’un autre monde, souvent exotique, muet et invisible (de nombreux types de plantes d’intérieur sont originaires des forêts tropicales). Cette présence exotique me permet de soulever des questions qui découlent de la critique institutionnelle: par exemple, qu’est-ce qu’une exposition ?; quelles sont les limites esthétiques des institutions ?; quel rôle la présence invisible des plantes exotiques joue-t-elle dans la création d’environnements de travail accueillants, qu’il s’agisse d’espaces d’exposition (puisque jusqu’à tout récemment, des plantes étaient aussi disposées dans les espaces d’exposition) ou de non-exposition (bureau, réception) des musées et galeries ?
La présence des plantes d’intérieur me permet aussi d’aborder ces questions sous un angle inédit : elles évoquent une forme de résidus naturels dans un lieu de travail et sont souvent utilisées pour domestiquer des espaces institutionnels et corporatifs austères. En focalisant mes recherches sur la plante en tant qu’objet culturel, j’explore une forme étrange d’utopie qui existe à l’intérieur de ce type d’espace. Ce faisant, je souhaite intégrer une dimension naturaliste alternative aux formes contemporaines du champ de la critique institutionnelle, conçue par quelqu’un de ma génération. La plante me permet de créer une sorte d’interface de réflexion pour aborder de façon inusitée la relation entre culture et nature qui prend forme à l’intérieur des espaces de travail corporatifs, institutionnels et artistiques. Le Département des plantes de bureau que j’ai créé en écho à la structure organisationnelle du projet de la N.E. Thing Co. est venu en quelque sorte encadrer le type d’investigation que je souhaite poursuivre au sujet de la plante d’intérieur2.
Lire la suiteDepuis l’amorce de cette recherche en 2013, je travaille à mettre en place un important inventaire de plantes d’intérieur présentes dans différentes institutions3. Pour le projet SIGHTINGS, j’ai parcouru les espaces publics et les locaux de l’Université Concordia à la recherche de plantes d’intérieur. C’est à la suite de cette enquête de terrain au sein de l’institution que j’ai proposé, dans le cadre de la présente exposition, de créer un terrarium4. En effet, la forme du dispositif d’exposition du cube vitré permet ce genre de glissement sémantique. C’est en visitant les espaces d’exposition New York Botanical Garden (NYBG) que j’ai pris connaissance de ce type de dispositif de présentation et que j’ai constaté la ressemblance formelle du cube d’exposition SIGHTINGS.
Un terrarium a pour objectif de présenter le biotope5 d’un espace de vie, d’un écosystème circonscrit. Il permet d’observer les plantes dans un environnement construit imitant les caractéristiques climatiques et biologiques du milieu de vie naturel des espèces exposées. Transformé en terrarium, le cube SIGHTINGS offre donc la possibilité aux visiteurs et aux passants d’examiner les plantes d’intérieur (naturelles et en plastique) dans leur espace de vie artificiel, conçu à partir de l’observation de différents sites au sein de l’université où les plantes ont été répertoriées. À l’instar d’une salle d’exposition, ce terrarium a aussi pour fonction de présenter les différentes espèces de plantes capables de vivre dans des milieux artificiels et austères. Enfin, ce projet est l’occasion pour le grand public et le personnel de l’université d’en apprendre davantage sur ce type de plantes puisque celles-ci sont accompagnées d’un feuillet informatif qui indique la série de soins à leur prodiguer.
- L’intervention de N.E. Thing Co brouille les frontières entre les champs de l’art et de l’économie locale par l’occupation performative et surdéterminée de l’espace du rez-de-chaussée du musée. À ce sujet, David Tomas, “The Dilemma of Categories and the Over Determination of a Business Practice. N.E. Thing Co. at the National Gallery of Canada, Ottawa, June 4-July 6 1969”, dans Protocoles documentaires / Documentary Protocols (1967-1975), sous la direction de Vincent Bonin avec la collaboration de Michèle Thériault, Montréal : Galerie Leonard & Bina Ellen, p. 199-234.
- Trois volets du projet ont été présentés jusqu’à présent, dont une série de photographies, une installation et des spécimens d’herbier. Le premier volet fut présenté 18 septembre au 21 décembre 2014 au Café Bloom, 1940 rue du Centre à Montréal. Lors de l’inauguration de l’exposition, un lot de plantes achetées aux enchères à Revenu Canada dans le contexte de compressions budgétaires fut mis en vente. Une installation présentée du 29 novembre au 21 décembre 2015 à La Mirage, 5445 avenue de Gaspé, 6e étage, E6-03 à Montréal, a fait office de deuxième volet. Le troisième volet consista en une exposition permanente de cinq spécimens d’herbiers intégrés à la collection de l’Herbier Marie-Victorin du Centre sur la biodiversité de l’Université de Montréal. Les trois volets de ce projet composent une série de relectures contextuelles de la présence des plantes au sein du projet Environment N.E. Thing Co, dont les formes furent développées en étroite relation avec chacune des différentes structures d’accueil.
- Sous l’invitation de la commissaire et directrice de la Galerie UQO, Marie-Hélène Leblanc, j’ai réalisé une résidence de recherche à l’Université du Québec en Outaouais (UQO) au mois d’octobre 2015 qui visait à répertorier et inventorier toutes les plantes de bureau présentes sur les deux campus de cette institution d’enseignement. Pendant une semaine, j’ai parcouru chacun des locaux à la recherche des plantes. Une exposition visant à rendre compte de ces recherches sera présentée à la Galerie UQO au mois de mai 2016, et à la Fonderie Darling au mois de juin 2016, sous l’invitation de Caroline Andrieux.
- Terrarium : subst. masc. Réservoir à paroi de verre, dont le fond est couvert de sable, de terre dans lequel on élève certains animaux : reptiles, batraciens, insectes, et où parfois on cultive des plantes. (source : CNRTL)
- Biotope : biologie, biogéographie, néol. Milieu biologique présentant des facteurs écologiques définis, nécessaires à l’existence d’une communauté animale et végétale donnée et dont il constitue l’habitat normal. (source : CNRTL)
L’artiste tient à remercier la Galerie Leonard & Bina Ellen, le service des immeubles et le service de distribution de l’Université Concordia, la bibliothèque Webster, les ressources humaines, ainsi que le bureau de la doyenne de la Faculté des beaux-arts pour le prêt et le déplacement des plantes. Un merci tout spécial à François Lambert, botaniste, Alexe Houtart, graphiste-auteure, et David Tomas, artiste, pour leur contribution au projet.
Les plantes prêtées par la bibliothèque Webster ont été acquises grâce au Library Services Fund Committee.
Catherine Lescarbeau poursuit actuellement des études de doctorat en études et pratiques des arts à l’Université du Québec à Montréal (UQAM). Elle a participé à plusieurs expositions solos et collectives et présenté différentes performances dans des lieux de diffusion alternatifs à Montréal et au Québec (La Mirage, Le Café Bloom). Elle enseigne les arts visuels au niveau collégial et s’implique au sein du conseil d’administration d’AXENÉO 7 à Gatineau. Artiste multidisciplinaire, elle s’intéresse à la relation entre l’art conceptuel et la critique institutionnelle ainsi qu’à la pertinence de ces approches aujourd’hui. Elle articule ses plus récentes recherches autour de la plante d’intérieur. En focalisant ses recherches sur cet objet, l’artiste vise à développer une interface lui permettant de réfléchir la relation entre culture et nature à l’intérieur des espaces corporatifs et institutionnels.