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SIGHTINGS V. Le shaped canvas et l’échangeur autoroutier comme cas problèmes
Étienne Tremblay-Tardif, Le shaped canvas et l’échangeur autoroutier comme cas problèmes, 2012. Galerie Leonard & Bina Ellen. Photo: Paul Smith
Étienne Tremblay-Tardif, Le shaped canvas et l’échangeur autoroutier comme cas problèmes, 2012.
Galerie Leonard & Bina Ellen. Photo: Paul Smith.
Gabor Szilasi, King's Hall Building, rue Ste-Catherine ouest, Montréal, 1979.
Épreuve argentique Collection de la Galerie Leonard & Bina Ellen, Université Concordia Achat - Subvention spéciale d'aide aux acquisitions, Conseil des Arts du Canada, 1983. Photo: Richard-Max Tremblay
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29 novembre 2012 au 17 février 2013

Un projet d’Étienne Tremblay-Tardif
Avec des œuvres de Pierre Boogaerts, Yves Gaucher, Serge Lemoyne et Gabor Szilasi

SIGHTINGS V. Le shaped canvas et l’échangeur autoroutier comme cas problèmes regroupe les intérêts d’Étienne Tremblay-Tardif pour l’espace urbain, l’échangeur Turcot, le milieu de la construction à Montréal, la grille formaliste du champ des arts et le shaped canvas. Dans le cadre de ce projet commissarial, il juxtapose quatre œuvres réalisées dans les années soixante et soixante-dix par des artistes québécois majeurs afin de développer une réflexion critique sur l’espace architectural et pictural.

Établi à Montréal depuis 2004, Étienne Tremblay-Tardif est un artiste originaire de l’Isle-aux-Coudres, dans la région de Charlevoix. Sa pratique artistique est marquée par la présence en filigrane de la peinture de paysage régionaliste et par le travail filmique de Pierre Perreault, qui agit pour lui comme un album de famille. Peintures et films donnent à son travail des balises historiques, des repères du début et de la fin de la modernité québécoise, et proposent une notion du lieu comme territoire culturel et politique. Il complète actuellement une maîtrise en arts visuels dans le programme d’arts imprimés de l’Université Concordia. Tremblay-Tardif est détenteur d’un premier baccalauréat en histoire de l’art et études cinématographiques et d’un second en arts plastiques. Depuis 2007, il a été récipiendaire du Prix Albert-Dumouchel, d’une bourse d’études supérieures Hydro-Québec et d’une bourse de maîtrise du Conseil de recherches en sciences humaines (CRSH). Il participait au printemps 2011 à l’exposition collective Ignition 7 à la Galerie Leonard & Bina Ellen et amorçait en août 2012 le projet Hôpital Maxime-le-Jaune lors du Symposium international d’art contemporain de Baie-Saint-Paul. Cet automne, il présente le solo Bookworms à Arprim.

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SIGHTINGS V. Le shaped canvas et l’échangeur autoroutier comme cas problèmes

Le shaped canvas en tant que trope se présente encore à ce jour comme un problème dans l’histoire de la peinture. À ce titre, il nous manque toujours une appellation française pour désigner ce type d’objet. Ce qui est certain, c’est que le shaped canvas marque un rapport pictural ambigu avec l’espace et sa délimitation, et plus précisément avec l’architecture. Les prototypes ou les modèles que peuvent représenter les retables du Moyen Âge, les tondos de la renaissance ou les mises en scène baroques semblent pointer dans la direction d’une pictorialité qui s’arrime à l’espace architectural, qui cherche à l’occuper, à le construire, à le prolonger. Il en irait de même pour les contrereliefs et autres expérimentations constructivistes. La fortune critique des combines de Robert Rauschenberg pointe également cette direction, celle d’un mouvement vers un espace de mise en forme performative, vers le happening et vers les rapports entre des corps sociaux. Pourtant, si on allonge la liste pour y inclure, par exemple, les shaped canvas noirs de Frank Stella ou, au Québec, le travail que Claude Tousignant et Serge Lemoyne effectuent dans le sillage des premiers Plasticiens, le mouvement semble s’inverser : d’une expansion picturale, on passe alors à une sorte de compression de l’espace vers la surface du tableau. Comme si, pour maintenir une tension plastique sur le plan pictural, les forces contribuant à la délimitation normalement rectangulaire du tableau surgissaient et jaillissaient ou alors s’effondraient et se repliaient.

Ce double mouvement d’expansion et de compression me semble aujourd’hui une piste intéressante pour amorcer une réflexion critique sur ce qui s’annonce déjà comme le plus gros chantier de construction du Québec contemporain : la réfection de l’échangeur Turcot et du complexe autoroutier attenant. Alors que plusieurs visions idéologiques s’affrontent autour de cet enjeu urbanistique majeur pour le Montréal de demain, le contexte social actuel de réévaluation des structures politiques, de radicalisation du cynisme et de l’engagement, nous ramène au tournant des années soixante et soixante-dix, au moment de la construction de l’échangeur Turcot et de la mise sur pied de la Commission d’enquête sur le crime organisé (CECO). C’est d’ailleurs très exactement ce que le cinéaste Denys Arcand met en scène dans Réjanne Padovani (1973), dont le visionnement propulse le spectateur dans une science-fiction rétrofuturiste. Activisme, arrivisme, avarice, spéculation, omertà et corruption y sont révélés sur la trame de la complétion des dernières bretelles d’un échangeur autoroutier qui demeure innommé. De la construction à la ruine, de la ruine au démantèlement et à la réfection : je ne sais plus si l’échangeur autoroutier s’effondre ou s’il éclate sous la charge des bâtons de dynamite. Je propose un modèle de réfection entre le déploiement et l’aplatissement, entre l’effondrement et l’explosion.

Étienne Tremblay-Tardif

 

Pierre Boogaerts (né en 1946) est connu pour un travail photographique sur la ville et l’architecture qui s’inscrit au confluent des stratégies conceptuelles et des pratiques postminimalistes. Il utilise la photographie comme moyen de transcription de l’espace urbain, plus spécifiquement, dans ce cas-ci, de la « ligne d’horizon » du ciel new-yorkais encadrée par la présence monumentale des gratte-ciel de la 25e Rue. Par ce processus, il arrive à des surfaces picturales aux géométries complexes, qui peuvent représenter des formes en « X », en « T » ou en colonnes. Des allers-retours s’effectuent entre une image du réel telle que captée par l’appareil d’enregistrement photographique, informant ainsi la composition du polyptyque photographique, et cette composition même, tributaires de l’expérience du marcheur et de l’artiste dans l’espace urbain de Manhattan. Dans le travail de Boogaerts, les notions d’aplatissement et de compression cohabitent avec celles d’expansion et de déploiement.

Serge Lemoyne (1941-1998) est d’abord actif au sein de groupes multidisciplinaires comme L’Horloge, Zirmate et la Semaine A. Souvent, il assure un rôle d’organisateur et de leader au sein de ces collectifs et lors de happenings qu’on saluera comme les tout premiers au Canada. Le shaped canvas ici présenté fait partie de la série de toiles triangulaires Pointe d’étoile, elle-même inscrite dans le corpus élargi que Lemoyne consacre aux Canadiens de Montréal. Sans être une anomalie dans son œuvre, cette série demeure un rare exemple chez Lemoyne d’une utilisation presque classique du shaped canvas comme trope moderniste. Aussi, elle semble poursuivre plus avant une logique formelle développée dans les « portraits » de joueurs étoiles du Tricolore, surtout ceux où le cadrage est resserré au maximum, logique où les plans de couleurs sont en extrême tension avec le pourtour du tableau. Le choix de la forme triangulaire accentue ici encore plus l’impression de fragmentation ou de troncature de l’image et contribue essentiellement à nier la frontière picturale entre représentation et abstraction. Entre peinture postplasticienne et Pop Art, Serge Lemoyne apparaît comme un passeur entre l’art et la vie.

Yves Gaucher (1943-2000) forme, avec Guido Molinari et Claude Tousignant, le cœur de la deuxième vague des Plasticiens montréalais. De ces trois artistes, c’est lui qui présente le parcours le plus atypique et qui présente le langage plastique le plus divers : bandes horizontales ou verticales, lignes qui suggèrent le mouvement, aplats chromatiques, formes géométriques complexes, formats en losange. Dans le travail de Gaucher, deux éléments déterminent la spécificité de sa pratique : d’un côté, l’inspiration avouée de la musique minimale ou sérielle sur certaines œuvres définies par une logique de transcription frôlant le conceptualisme (Hommages à Webern); de l’autre, l’apport des techniques de gravure et du métier d’estampier. Pli selon pli offre un exemple parfait de pressions contraires, en creux et en relief, sur le plan pictural. Alors que la délimitation du plan demeure rectangulaire, le gaufrage du support de papier fait écho au bas-relief comme zone tampon entre les champs de l’architecture, de la sculpture et de la peinture. Yves Gaucher ne semble avoir transgressé qu’une seule fois la délimitation rectangulaire du support pictural, alors qu’il participait au projet Painting the Town, organisé par ManuVie. Constituée de sept œuvres sur panneaux d’affichage extérieurs monumentaux, peintes par autant d’artistes, l’exposition a circulé dans une dizaine de villes canadiennes. L’œuvre M.L.S.P. I/II 87 de Gaucher, où une forme trapézoïde sort de la partie supérieure du cadre, a été présentée au coin des rues Rosemont et Saint-Hubert lors du passage de l’exposition à Montréal.

Gabor Szilasi (né en 1928) a largement documenté le territoire québécois. S’il accorde une grande importance au genre du portrait, il réalise également de nombreux paysages ruraux ou urbains, parfois à son propre compte, entre des contrats d’enseignement, ou encore à la faveur de commandes institutionnelles, comme c’est le cas dans la série sur les chantiers de l’Exposition universelle de 1967, pour laquelle il photographie le tout nouvel échangeur Turcot. King’s Hall Building, rue Sainte-Catherine Ouest, Montréal, s’inscrit dans un ensemble de quelques 150 clichés de façades commerciales de la rue Sainte-Catherine. Une forte grille moderniste, où les coffrages de béton prennent le devant de la scène par rapport au mur-rideau de verre, se dissout au bas de l’image dans le flux de la circulation automobile, l’activité des piétons et la logique d’affichage du strip commercial, dont le principe d’iconicité a été habilement théorisé et défendu par les architectes Denise Scott Brown et Robert Venturi. Selon ces derniers, l’architecture doit d’abord être comprise comme une surface, un support médiatique, plutôt que comme une volumétrie.

 

Références

Beaulieu, Simon, et Benjamin Hogue et Christian Laramée, Lemoyne : documentaire sur la vie et l’œuvre du peintre Serge Lemoyne, Montréal, Vidéographe, 2005, 80 minutes.

Dessureault, Pierre et Michel Denée, Pierre Boogaerts : le regard, le réel, l’image, Ottawa, Musée canadien de la photographie contemporaine, Ottawa, 2001.

Grant Marchand, Sandra et al., Yves Gaucher, Montréal, Musée d’art contemporain de Montréal, 2004.

Harris, David, Gabor Szilasi : l’éloquence du quotidien, Joliette, Musée d’art de Joliette, 2009.

Joseph, Branden W., « The Gap and the Frame », October, numéro 117, été 2006, p. 44-70.

Nasgaard, Roald, Abstract Painting in Canada, Toronto, Douglas & McIntyre, 2007.

Obrist, Hans Ulrich et Rem Koolhaas, « An Interview with Denise Scott Brown and Robert Venturi », Harvard Design School guide to shopping, Cambridge (Mass.), Harvard Design School, 2001, p. 590-617.

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La Galerie Leonard & Bina Ellen remercie le Conseil des Arts du Canada de son soutien à la programmation contemporaine.