SIGHTINGS 2025-2027
DECORUM
Inauguré en 2012 à l’occasion du 50e anniversaire de la collection permanente de la Galerie Leonard & Bina Ellen, le programme d’expositions satellites SIGHTINGS a été conçu comme une plateforme d’expérimentation et de réflexion critique afin de questionner les possibilités et les limites de l’espace du « cube blanc » moderniste. Ce programme est associé à un module de présentation cubique situé dans un espace public de l’université que des artistes et des commissaires sont invité·e·s à investir en proposant de nouvelles stratégies de monstration artistique.
Le cycle SIGHTINGS 2025-2027, Decorum, s’inscrit dans les histoires émancipatrices du pavillon Henry F. Hall de l’Université Concordia. Depuis son inauguration en 1966, ce bâtiment est un lieu clé de l’activisme étudiant—du sleep-in en 1967 contre le prix des manuels scolaires, où 150 étudiant·e·s ont campé dans le vestibule, à l’Affaire Sir George Williams en 1969, marquée par l’occupation, durant plusieurs jours, du centre informatique du 9ᵉ étage par des étudiant·e·s et manifestant·e·s dénonçant les pratiques d’évaluation racistes. Conçu comme un carrefour pour la communauté étudiante du centre-ville, le pavillon Hall demeure un espace où les étudiant·e·s convergent pour échanger des idées, se mobiliser et se faire entendre. Les projets présentés dans le cube prolongent cet héritage en interrogeant la mémoire des institutions et des bâtiments traversés par des mouvements de résistance.
SIGHTINGS est situé au rez-de-chaussée du Pavillon Hall : 1455, boul. De Maisonneuve Ouest, et est accessible tous les jours de 7 h à 23 h. Le programme est élaboré par Julia Eilers Smith.
IDLE
16 juin au 14 septembre 2025
Un projet d’Alexandre Bouffard
Film intelligent PDLC, vinyle, MDF, caoutchouc et acier galvanisé
Alexandre Bouffard est un artiste et chercheur basé à Montréal. Formé en arts plastiques, en architecture et en génie civil, il s’intéresse aux relations entre les systèmes matériels, la modélisation environnementale et le rôle de l’image et de la représentation dans les processus architecturaux. Il termine actuellement une maîtrise en génie civil à l’Université McGill. Son travail a récemment été présenté chez Joe Project et à Parc Offsite / Eli Kerr.
L’artiste tient à remercier Gautier Lemelin, Sophie Latouche, Julia Eilers Smith, Hugues Dugas ainsi que Gaël Comeau.
Gautier Lemelin est étudiant à la maîtrise en philosophie. Il vit et travaille à Montréal.
Idée de l’attente
La tension qui se joue dans le montage photographique entre plusieurs angles de capture optique est prise comme point de départ : celui du photographe, en déplacement dans une voiture, et celui de caméras de sécurité fixes, braquées sur des panneaux publicitaires. Cette tension soulève des questions : qui est le sujet, qui est l’objet de cette mise en scène ? Qui est porteur d’agentivité et constructeur de signification? Qui produit l’image et de quelle image, exactement, est-il question? Aucune réponse ne s’impose avec certitude. Le photographe est-il réduit au statut d’objet de la publicité, en tant qu’automobiliste ciblé? L’image qu’il produit n’est-elle que la répétition d’une même image publicitaire? Est-ce l’image qui finalement produit le sujet photographique? Ou bien son geste photographique lui permet-il de s’extraire du rôle qui lui est d’abord assigné?
L’araignée, figure prédatrice, exprime cette tension : le prédateur est toujours aussi, d’une certaine manière, l’objet de la chasse, puisque sa survie dépend de l’existence de sa proie. Le texte qui suit développe cette dynamique de renvois – circulation entre ce qui regarde et ce qui est vu, ce qui capture et ce qui est capturé –, dynamique que l’on retrouve, entre autres, dans le regard animal, humain, photographique. Cette extrapolation est reconduite jusqu’à l’objet d’exposition, qui est à la fois clos sur lui-même et ouvert sur l’extérieur, notamment par la relation éphémère et ambivalente qu’il cherche à nouer avec les passant·e·s.
À qui échoit la tâche de faire émerger le possible à partir de ce qui se referme sur soi revient aussi la responsabilité de préserver de l’effondrement tout ce qui participe de cette tâche : sujet comme objet.
Le second principe de la thermodynamique en serait l’expression formelle et dépersonnalisée. La fermeture d’un système sur lui-même induit la dissipation de l’énergie qui y était investie, faisant croitre ainsi le désordre, jusqu’à conduire à l’effondrement définitif du système.
Il faudrait pouvoir introduire dans la situation autre chose que ce qui s’y trouve déjà, au risque, sinon, de s’engager aussitôt dans un mouvement de clôture définitive et d’y perdre tout possible, y compris la possibilité même du mouvement en général.
Tout mouvement, d’abord un élan vers quelque chose, est sous la menace constante d’un effondrement.
Ce risque caractérise l’attente, qui est un élan en puissance : toujours en attente de quelque chose, celui ou celle qui s’abandonne à l’attente n’a aucune certitude de ne pas s’y dissiper définitivement.
***
On retrouve une tension homologue dans la chasse, en particulier dans l’inquiétude qui saisit le prédateur. Dans l’attente, celui-ci est habité d’une peur équivoque à celle de la proie. Devant l’impossibilité de vivre sans cet autre – étant hétéronome en somme – le prédateur ne peut tout à fait revendiquer le rôle de sujet à part entière, d’agent autonome. Il n’est pas le premier moteur de la chasse. Il est toujours déjà capté par la peur d’un effondrement et la nécessité vitale d’y échapper.
***
L’on pourrait considérer le processus de l’enquête, de la recherche, comme une forme sublimée et pacifiée de la chasse, où l’inquiétude du sujet enquêtant ne se résorbe qu’au moment de la clôture – de la capture – d’un ensemble de signes.
La clôture met fin simultanément à l’enquête et à l’objet qui lui résistait. Elle épuise, au fond, les possibilités que ce mouvement déployait. Celui ou celle qui enquête cherche à s’approprier et à rendre présent à soi tout ce qui lui semble nécessaire à l’élucidation d’un manque. C’est cette nécessité de combler un manque qui menace l’enquête de retomber dans la brutalité de la chasse.
Si l’on est d’abord tenté·e de voir dans l’enquête cette version rationnalisée et pacifiée de la prédation, elle bascule à nouveau, dans le cas extrême de la chasse au fugitif, vers sa forme violente et pulsionnelle. Là où elle pensait s’être libérée de la brutalité de la chasse, l’enquête révèle alors pour fin dernière la capture d’une proie en évoquant pour cause l’équivoque notion de « coupable ». À ce moment, l’enquête ne vise alors plus à comprendre, mais à cibler et capturer.
Qui accepte néanmoins de voir dans l’enquête une forme provisoirement sublimée de la chasse aperçoit dans l’indice la marque d’une sortie hors du paradigme de la prédation et de l’appropriation. L’indice est ici un signe dont le référent demeure ouvert, puisqu’il indique le probable, voire le possible.
Là où la proie n’apparait au prédateur que sous la forme d’un signal qui déclenche une action réflexe, l’indice ouvre une perspective indéterminée qui diffère le moment de la clôture, de la capture. L’indice fait signe, d’un trait, dans plusieurs sens : il invite à interpréter plutôt qu’à saisir.
Le mouvement du sujet enquêtant, tendu vers l’indice et se hasardant à bifurquer dans l’une des directions que celui-ci lui inspire, n’est pas capté, mais au contraire provisoirement libéré de l’inquiétude qui l’avait d’abord habité. La toile d’indices tissée par ce sujet diffère, retarde, le moment de la clôture, s’étirant indéfiniment.
L’indice se pose ainsi comme l’antithèse de la capture, pour autant qu’il soit la mesure même, le point autour duquel gravite le mouvement de l’enquête. L’enquêteur ne cherche plus alors à se saisir d’un objet, d’une proie, mais plutôt à bifurquer suivant le cours de l’indice jusqu’à l’évasion hors de soi.
***
Chercher la réponse d’un tel problème dans la forme d’un objet qui, tout en demeurant scellée, se donne à voir sans offrir de résistance au regard – l’instant d’un battement de paupières, le regard s’absorbant dans l’optique photographique –, nous place dans une situation où transparence et opacité se rejoignent en un point d’indistinction.
On souhaiterait alors se situer d’un point de vue d’où l’on pourrait voir la chose même sans être saisi·e d’inquiétude, un point d’où l’opposition entre intérieur et extérieur se verrait abolie. L’attente y serait alors un repos.
Pourtant, à l’approche d’un tel objet, nous voilà déjà capté·e. Se referme sur soi – ou sur nous, c’est une même chose dès lors – tout ce qui faisait signe, comme une promesse, vers un dehors, une forme de plénitude.
Mais dans l’effondrement, alors que l’on s’offre à la capture, subsiste l’illusion d’une première image, celle qui nous souffle : si d’un point de vue, je n’étais déjà l’objet d’une capture, alors… nous resterions indéfiniment dans l’attente, au repos.
La tâche de celui ou celle qui se livre à l’indice pourrait se résumer ainsi : abolir le règne de la prédation. Or, face à la contingence des traces qui s’offrent à lui – qu’il s’agisse d’une foule, de ses regards, de ses bruits – rien ne garantit au sujet, qui, dans une attente anxieuse, espère que son propre regard lui sera renvoyé et qu’il y trouvera peut-être une suspension à la traque infinie, qu’il ne soit déjà l’objet d’une capture, d’un effondrement.
– Gautier Lemelin
Alexandre Bouffard est un artiste et chercheur basé à Montréal. Formé en arts plastiques, en architecture et en génie civil, il s’intéresse aux relations entre les systèmes matériels, la modélisation environnementale et le rôle de l’image et de la représentation dans les processus architecturaux. Il termine actuellement une maîtrise en génie civil à l’Université McGill. Son travail a récemment été présenté chez Joe Project et à Parc Offsite / Eli Kerr.
L’artiste tient à remercier Gautier Lemelin, Sophie Latouche, Julia Eilers Smith, Hugues Dugas ainsi que Gaël Comeau.
Gautier Lemelin est étudiant à la maîtrise en philosophie. Il vit et travaille à Montréal.