LA RÉPÉTITION MISE À L’ÉPREUVE
Il s’agit de modelage, non de modèles
30 août au 29 octobre 2016
Martin Beck, Rainer Bellenbaum, Merlin Carpenter, Harun Farocki, Marie Claire Forté et Alanna Kraaijeveld, Hanako Geierhos, Richard Ibghy & Marilou Lemmens, On Kawara, Krüger & Pardeller, Achim Lengerer (en collaboration), minimal club, Regina (Maria) Möller, Yoko Ono, Falke Pisano, Constanze Ruhm, Klaus Scherübel, Wendelien van Oldenborgh, Katarina Zdjelar
Commissaires : Sabeth Buchmann, Ilse Lafer, Constanze Ruhm
Mardi 30 août
Visite avec les commissaires : 17 h
Vernissage : 17 h 30 à 19 h 30
Pistes de réflexion
Événements
SBC galerie d’art contemporain
À suivre : répétitions inachevées
31 août au 10 décembre 2016
Visite avec les commissaires : 31 août à 12 h 15
Sticky Stage, performance de Discoteca Flaming Star : 31 août de 20 h à 8 h
VOX, centre de l’image contemporaine
En cours de production : l’image post-dramatique
1 septembre au 26 novembre 2016
Visite avec Tanja Widmann et les commissaires : 1 septembre à 17 h
Vernissage : 1 septembre à 17 h 30
Programme de films
La Cinémathèque québécoise
Présentation de Passion (1982), Dir. : Jean-Luc Godard, le 2 septembre à 21 h
VOX, centre de l’image contemporaine
Projections quotidiennes
2 septembre au 3 novembre 2016
La Galerie Leonard & Bina Ellen, SBC galerie d’art contemporain et VOX, centre de l’image contemporaine accueillent un événement majeur intitulé La répétition mise à l’épreuve complété par un programme de films présenté à la Cinémathèque québécoise et à VOX. Les trois commissaires de l’exposition, Sabeth Buchmann, Ilse Lafer et Constanze Ruhm, réunissent plus de cinquante artistes de la scène internationale, qui examinent un ensemble de positions et de stratégies en art contemporain où la répétition est envisagée à la fois comme sujet et comme pratique.
Essai des commissaires
LA RÉPÉTITION MISE À L’ÉPREUVE
Il s’agit de modelage, non de modèles
Sabeth Buchmann, Ilse Lafer et Constanze Ruhm
Si le thème de la « répétition » est répandu au cinéma et au théâtre, ainsi que dans le domaine des beaux-arts, il a rarement été pris en considération en histoire de l’art ou dans le discours sur l’art contemporain. C’est dans cette optique que l’exposition interroge le rôle et la fonction de la notion de « répétition », conçue à la fois comme une méthodologie, un modus operandi et un médium, ainsi qu’un lieu de représentation et de réflexion pour les processus de production artistiques.
Partant de la notion de script, envisagée dans le processus de scénarisation(s) (scripting(s)), le récit de cette exposition pointe vers un ensemble d’outils conceptuels et de documents tels que des partitions, des notations et des scripts proprement dits, qui documentent eux-mêmes des chorégraphies ou des événements antérieurs, ou encore des éléments contingents qui fournissent des instructions pour de futures actions et situations : par exemple, le Grapefruit Book (1964/1970) de Yoko Ono, dont les instructions suggèrent des topologies transitoires. Conçus comme un ensemble de règles générées par la pratique, ces scripts font état (lorsqu’ils sont réalisés) de distinctions temporelles et hiérarchiques entre le texte (historique) et l’œuvre (réelle). Tel est le rôle dévolu aux interprètes du film de Martin Beck, The Environmental Witch-Hunt (2008), qui, en négociant les ambivalences du scénario et des indications scéniques, font ce qu’ils répètent et répètent ce qu’ils font. S’éloignant des pratiques de reconstitution (re-enactement), la mise en relation du script et de la répétition ne vise pas à reconstruire un événement historique ; il s’agit plutôt d’intervenir dans la succession linéaire du passé, du présent et du futur pour composer des formes hétérogènes de (ré-) articulation. Avec la vidéo Test Print #2 (1989/2016), les membres de l’ancienne troupe de théâtre minimal club (1983–1999) documentent leur projet Naturidentische Stoffe (matière identique à la nature) en se promenant avec la caméra dans l’espace d’exposition. Au fil des déambulations, les répétitions forment une suite d’interférences momentanées entre les acteurs et les objets.
Lire la suiteFondés sur un ensemble de règles qui orientent les répétitions quotidiennes et/ou des actions à venir, les scripts révèlent les croisements et les lignes de faille entre les arts performatifs et visuels. En même temps, ils traitent des idées (immatérielles) et des incarnations (matérielles) communes aux routines et aux contingences de la « production » et de la « fabrication » artistiques, comme c’est le cas pour le projet Today Series (1966/2013) de On Kawara, où la structure de la vie quotidienne coïncide avec le rythme du travail artistique. Dans la mesure où l’artiste aborde son travail sous la forme d’exercices quotidiens, exécutés de manière à dépasser l’idée égocentrique de la paternité artistique, les processus croisés de répétition, d’imprégnation et de modification peuvent être interprétés comme une répétition de l’œuvre en devenir. Ici, un lien peut être établi avec l’œuvre d’Hanako Geierhos Ontological Research (2011-2016), qui brouille les distinctions entre les formes minimalistes, les accessoires scéniques et les dispositifs fonctionnels afin que les objets et les sujets communiquent entre eux de façon continue et toujours changeante – un phénomène que Geierhos rend manifeste dans Transitory Rituals (2012/2016) par la mise en scène et la projection de gestes (voir SBC et VOX). Caractérisée par une structure similaire d’interrelations, l’œuvre de Falke Pisano examine le rôle prescriptif de la spéculation mathématique dans le cadre des pratiques sociales et esthétiques.
En isolant les traces d’idéologie au cœur du langage, que celui-ci s’articule de façon verbale ou gestuelle, les répétitions en tant que pratique deviennent des lieux et des outils d’activation d’une dialectique d’essais et d’erreurs, de fonctionnalité et d’échec. La manière dont cette pratique met en jeu la construction socioculturelle de l’identité des sujets et des objets permet notamment d’aborder l’histoire du colonialisme et de la xénophobie, comme le font par exemple Katarina Zdjelar et Wendelien van Oldenborgh. Dans ce contexte, les « actes linguistiques » (tels que les perçoivent Beck et Pisano) se présentent comme des « techniques culturelles » qui doivent constamment être répétées à des fins de compréhension mutuelle et de traduction interculturelle, mais également pour neutraliser les différences culturelles et sociales – ce dont témoigne l’œuvre de Zdjelar The Perfect Sound (2009). En plus de révéler les aspects idéologiques et normatifs qui imprègnent le langage verbal et corporel, la pratique de la répétition en souligne la présence au sein des conventions visuelles et esthétiques. Dans son installation vidéo No False Echoes (2008), Wendelien van Oldenborgh propose une réflexion sur un programme radiophonique diffusé par Philips Omroep Holland Indië, une station gérée par la société Philips qui servait de support à la propagande néerlandaise durant l’occupation coloniale de l’Indonésie. C’est en invitant des interprètes à réciter leurs propres expériences ou à performer des textes tirés de documents coloniaux et anticolonialistes que l’artiste a trouvé le moyen de renégocier les enjeux propagandistes du projet original.
Lorsqu’ils sont conçus comme des exercices, les actions et les gestes picturaux peuvent pointer au-delà de l’idée d’authenticité et d’expression individuelle, vers les conditions temporelle et spatiale de la production artistique. C’est ainsi que, par la peinture, Merlin Carpenter associe les gestes de répétition aux règles institutionnelles de l’exposition. Produites en direct et in situ lors de vernissages, ses « opening paintings » oscillent entre le statut de créations incomplètes, en cours de réalisation, et celui d’œuvres achevées, limitées à une occurrence unique (voir VOX). En reproduisant sous forme de murale les organigrammes conceptuels issus de leur projet A Model of Possible Action: An Experiment to Develop a New Methodology of Institutional Cooperation (2013), Krüger & Pardeller soulignent la fonction de ces tableaux blancs ou babillards en tant que vecteur d’information et de médiation, et appellent à mettre en œuvre de nouveaux modes d’(inter‑)action collective (voir SBC).
Les effets réciproques de l’apprentissage et du désapprentissage correspondent aux modalités de la production cinématographique, où la mise au jour du processus de réalisation engendre une (auto-)analyse politique et fournit, ce faisant, le « code source » des sphères imbriquées de l’art et de la politique. Les exercices répétitifs dénoncent les conditions internalisées des rythmes de travail imposés et de l’(auto-)exploitation des travailleurs. Les films d’Harun Farocki et de Constanze Ruhm réfléchissent à la façon dont les êtres humains sont transformés en une accumulation de rôles (genrés) qui, à leur tour, génèrent de nouveaux (stéréo-)types et de nouvelles identités. Dans le même ordre d’idées, l’installation vidéo de Rainer Bellenbaum GOETHE/STRASSEN (Goethe/Rues) (2016) relie des espaces géographiques circonscrits et des sites urbains par le biais de performances accidentelles ou mises en scène effectuées par des résidents et des passants : des situations qui mettent en relief la répétition comme technique historique et culturelle intrinsèque aux modèles de dialogue littéraire et cinématographique.
L’interprétation des rôles et des personnages dans les œuvres de ces artistes fait appel aux scripts invisibles qui dictent les schémas comportementaux, psycho-émotionnels et sociaux, une stratégie que l’on retrouve dans les œuvres d’Ono, Beck et Pisano. Chez Regina (Maria) Möller, les rideaux constituent un médium de transition entre les espaces publics et institutionnels, incarnant le passage entre le personnage et l’acteur, l’espace « réel » et l’espace « fictif ». La position symbolique de la répétition y est marquée de façon littérale par l’intégration d’un grand drapeau où se dessine un « X » blanc sur fond noir, évoquant, d’une part, la position des comédiens sur la scène et, d’autre part, l’emblème des identités fluctuantes. La présence des rideaux brouille également la distinction entre l’espace d’exposition et l’espace scénique : la scène est en coulisses et inversement; la répétition commence là où elle finit. Les identités, les rôles, l’espace et le temps se présentent comme des entités qui ne sont jamais fixées, mais fondées au contraire sur de multiples variations et des relations fluctuantes.
Achim Lengerer développe une pratique continue d’édition de magazines intitulés Scriptings, qui sont à la fois le support d’un travail collectif de lecture et d’écriture, et un médium pouvant être considéré comme un objet éphémère. Abordant des sujets et des stratégies méthodologiques issus de divers domaines (art, littérature, film, théorie, politique, science et technologie), le processus éditorial crée un scénario similaire à celui des répétitions, au cours duquel les participants (qu’ils soient actifs ou observateurs) adoptent et interprètent des rôles changeants. Dans la présente exposition, Scriptings#46, un catalogue, en tout cas non raisonné et incomplet remplace les textes de présentation conventionnels.
Utilisant une reproduction d’un des célèbres tableaux d’Edgar Degas où il dépeint une répétition de danse, soit celui justement intitulé La Répétition (1874), Klaus Scherübel conçoit un « objet calendrier » La répétition (Prototype), VOL. 24 (2016), dont la présentation correspond aux dates individuelles des trois expositions à la Galerie Leonard & Bina Ellen, à SBC galerie d’art contemporain et à VOX, centre de l’image contemporaine. Bien que chaque page du calendrier affiche la même reproduction du tableau, chacune renvoie cependant toujours à un mois différent, dans ce cas-ci allant d’août à décembre. Conceptuellement autonome dans sa référentialité à l’histoire de la peinture, le calendrier devient également un objet fonctionnel.
When the Guests Are Not Looking (2016) de Richard Ibghy & Marilou Lemmens est une série de répétitions éphémères, invisibles, centrées sur le personnage éponyme du dialogue écrit par Denis Diderot, Le Neveu de Rameau (1762–1777). Ces performances ont lieu en dehors des heures d’ouverture de la galerie et ne sont accessibles qu’au moyen d’une publication. Tandis que l’interprète fantôme d’Ibghy & Lemmens, dont l’existence même est incertaine, répète littéralement dans le hors-espace institutionnel, Marie Claire Forté et Alanna Kraaijeveld (en dialogue avec Sophie Bélair Clément) rendent visible un ensemble de coordonnées grâce auxquelles nous devenons témoins du travail des interprètes, dont les corps traversent l’histoire de la chorégraphie dans des répétitions non annoncées intitulées Répétitions de Collections de danses de Christian Rizzo, Gene Kelly et Stanley Donen, Édouard Lock, William Forsythe, Merce Cunningham, Saburo Teshigawara, Trisha Brown; Jeffrey Daniel, Michael Jackson et Vincent Patterson, Mats Ek, Dana Michel; Dana Foglia, Chris Grant et JaQuel Knight, Crystal Pite, Pina Bausch, Lloyd Newson, Tedd Robinson, Hofesh Shechter, Bob Fosse, Anne Teresa de Keersmaeker, Daniel Linehan, Amanda Acorn, Jiři Kilyán, Akram Khan, Stijn Celis, Deborah Hay, Liz Santoro et Pierre Godard, Marie Claire Forté, Meg Stuart et Philipp Gehmacher et autres (2016).
Ces performances, auxquelles s’ajoute la publication Scriptings d’Achim Lengerer, prennent place dans et autour des trois espaces de l’exposition La répétition mise à l’épreuve; elles lient par là même les trois scénarios de l’exposition et en font une constellation complexe de répétitions.
Par l’enchevêtrement du contenu, de la méthode et de la forme, l’idée de répétition telle qu’elle est traitée dans cette exposition n’est pas réductible à une méthodologie préétablie qui lui serait sous-jacente. C’est plutôt dans le travail qu’une exposition comme répétition peut dégager – un travail qui n’est pas toujours visible – que se trouve l’ambiguïté de la répétition, oscillant entre la notion de « making of » (la répétition en tant que sujet narratif) et celle d’une création en chantier, « in-the-making » (la répétition en tant qu’œuvre à proposer).
L’intégralité de l’essai peut être téléchargée dans la section Textes et documents de ce site.
FermerListe complète des artistes et cinéastes
Lire la suiteMarwa Arsanios, Judith Barry, Martin Beck, Rainer Bellenbaum, Cana Bilir-Meier / Liesa Kovacs / Lisa Kaeppler en collaboration avec Nora Jacobs, Merlin Carpenter, Keren Cytter, Carola Dertnig, Discoteca Flaming Star, Loretta Fahrenholz, Harun Farocki, Heike-Karin Foell, Marie Claire Forté et Alanna Kraaijeveld, Hanako Geierhos, Jean-Luc Godard, Ana Hoffner, Oliver Husain, Richard Ibghy & Marilou Lemmens, On Kawara, Jutta Koether, Eva Könnemann, Krüger & Pardeller, Achim Lengerer (en collaboration), Rashid Masharawi, Jasmina Metwaly et Philip Rizk, Eva Meyer et Eran Schaerf, minimal club, Regina (Maria) Möller, Yoko Ono, Silke Otto-Knapp, Falke Pisano, Mathias Poledna, Marlies Pöschl, Isa Rosenberger, Constanze Ruhm, Susanne Sachsse, Klaus Scherübel, Eske Schlüters, Maya Schweizer, Wendelien van Oldenborgh, Clemens von Wedemeyer, Tanja Widmann, Katarina Zdjelar, Heimo Zobernig
FermerCet événement est rendu possible grâce au précieux soutien du BKA – Département des arts et de la culture de la Chancellerie fédérale d’Autriche, du Forum Culturel Autrichien / Ambassade d’Autriche, du Goethe-Institut, de l’IFA – Institut pour les relations culturelles avec l’étranger (Allemagne), du Mondriaan Fonds (Pays-Bas), du Conseil des arts du Canada, du Conseil des arts de Montréal et du Conseil des arts et des lettres du Québec.