1 – 9 juin 2022
Une installation-performance de PME-ART
Coproduction : Festival TransAmériques + Galerie Leonard & Bina Ellen
Dans la préface de Renaître : journaux et carnets (1947-1963), David Reiff, le fils de Susan Sontag, écrit que sa mère a commencé à tenir des journaux intimes tôt à l’adolescence pour les poursuivre jusqu’aux dernières années de sa vie. Il note aussi qu’elle n’a pas laissé d’indications à propos de ces carnets. Lors de leur unique échange sur le sujet, malade, elle a chuchoté : « Tu sais où se trouvent les journaux ».
Renaître regroupe des écrits tantôt épisodiques, tantôt réflexifs, tantôt critiques, tantôt fragiles. Ils révèlent son amour débordant des arts et de la littérature, et son fervent désir d’en être versée. Elle écrit « qu’une des premières fonctions (sociales) d’un journal ou d’un carnet est précisément d’être lu furtivement par d’autres gens, par les gens (comme les parents + amants) à propos desquels on n’a été cruellement honnête que dans le journal. ».
Lors de sa création en 2014, Adventures can be found anywhere, même dans la mélancolie proposait la réécriture du Livre de l’intranquilité, étrange journal fragmenté de l’écrivain portugais Fernando Pessoa. Huit ans plus tard, pour que la réécriture au cœur de la performance reste vivante, elle devait se frotter à un nouveau livre.
Nous sommes à la fois convaincues et incertaines de notre choix de réécrire aujourd’hui les journaux et carnets de Sontag; comme l’était peut-être Reiff dans sa décision de les éditer; comme l’était peut-être même Sontag face à l’idée de les publier ou non. La réécriture nous permet de plonger dans ses carnets, de les déplier à d’autres horizons. Peut-être que nous cherchons à réécrire le livre afin qu’il soit un peu plus collectif, un peu plus proche de nous, de nos réalités. C’est une des petites histoires que nous nous racontons en réécrivant.
ARTISTES
Le groupe interdisciplinaire PME-ART se voue à la création d’objets artistiques hybrides dans lesquelles les êtres s’inscrivent toujours de manière authentique et singulière. L’exigence éthique qu’impose cette approche visant à inscrire la vie dans les œuvres et l’art dans l’expérience humaine enrichit la pratique du groupe depuis plus de 20 ans.
Ne se défilant devant aucun paradoxe, PME-ART y puise la matière généreuse et imprévisible de son travail, où se côtoient librement réflexion critique et poésie.
Bilingue depuis sa création, la compagnie montréalaise a créé une douzaine de projets qui ont beaucoup tourné à l’étranger parmi lesquels En français comme en anglais, it’s easy to criticize (1999), Le génie des autres / Unrehearsed Beauty (2002), HOSPITALITÉ 3 : l’individualisme est une erreur (2008), Le DJ qui donnait trop d’information (2011) et Toutes les chansons que j’ai composées (2012).
Groupe à géométrie variable, PME-ART cherche sans cesse à renouveler sa pratique par des collaborations locales, nationales et internationales. Le groupe interdisciplinaire est animé par la quête d’une nouvelle forme de représentation, davantage collaborative et performative.
Jacob Wren exerce son doux leadership sur les activités de PME-ART et avec Sylvie Lachance, codirectrice artistique, iels évoluent au sein d’une communauté artistique foisonnante. Comme auteur, Wren signe plusieurs livres remarqués. En 2018, il publie Authenticity Is a Feeling: My Life in PME-ART, dont il tirera le spectacle Un sentiment d’authenticité : mode d’emploi. En plus de retracer le parcours fascinant de la compagnie, l’ouvrage, traduit en français par Daniel Canty, Un sentiment d’authenticité : ma vie avec PME-ART (2021), constitue un apport passionnant à la théorie de la performance.
FermerBiographies
Burcu Emeç est une artiste et coordinatrice d’intimité vivant entre Montréal et Toronto œuvrant dans le champ de la performance. Formée à l’origine comme comédienne, elle travaille notamment en art vivant, théâtre et cinéma. Son approche de la création fortement axée sur les images, conjugue à la fois le commentaire social, la performativité et le non-jeu. Le travail de Burcu a été présenté dans une variété de lieux : théâtres, galeries, salles de conférences et parcs publics. Parmi ses plus récentes récompenses, citons le prix Mécènes investi pour les arts, le prix Hybridité de l’OFFTA et cinq nominations au META.
FermerCréatrice et interprète établie à Montréal, Claudia Fancello s’adonne à un travail artistique collaboratif. Depuis 2008, elle participe à la cocréation et aux tournées du groupe interdisciplinaire PME-ART. Elle participe à part entière à la création et aux tournées des chorégraphies d’Amy Henderson, Matija Ferlin, Justine A. Chambers, Stephen Thompson, Antonija Livingstone, Zoja Smutny et Marie Claire Forté. Parallèlement à ces aventures, Claudia participe à des créations en tant que conceptrice de costumes, assistante artistique, chercheure ou répétitrice. Elle est également copropriétaire du bar apéritif Etna et du Pastificio Etna à Montréal.
FermerLe potentiel relationnel, expérientiel et expérimental de la danse m’anime. Je danse, chorégraphie, écris, traduis et enseigne. Je suis la mère d’Imogen Keith, qui m’enchante, m’apprend, me bouleverse. Je mène mes propres projets et travaille auprès d’artistes que j’aime, dont récemment Louise Bédard, Katie Ward et PME-ART. De 2017 à 2019, j’étais interprète en résidence à l’Agora de la danse. En 2016, j’ai réalisé le projet d’exposition et la publication bilingue —I’d rather something ambiguous. Mais précis à la fois. avec mon amie Sophie Bélair Clément à la galerie Leonard & Bina Ellen. J’ai dansé quatre saisons pour le défunt Groupe Lab de danse (Ottawa) où je m’entrainais quotidiennement auprès de Peter Boneham.
FermerNadège Grebmeier Forget évolue dans le milieu de l’art actuel en tant qu’artiste interdisciplinaire, coordonnatrice de projets, conseillère en création et directrice artistique. Mieux connue pour ses performances de longue durée, en direct et en privé, elle construit au fil des projets une réflexion critique sur ce médium en interrogeant ses dispositifs de présentation, les enjeux de sa documentation et le potentiel de sa médiation. Elle a pris part à de nombreux événements, festivals, conférences et résidences aussi bien au Canada qu’en Europe et aux États-Unis. Elle est la première artiste de performance à recevoir le Prix Pierre-Ayot (2019) de la Ville de Montréal, décerné en partenariat avec l’Association des galeries d’art contemporain (AGAC).
FermerAdam Kinner est un artiste basé à Tiohtià:ke /Montréal, originaire de la région de Washington, DC. Il travaille de façon intérimaire et à travers différentes formes en adoptant une approche basée sur la recherche, l’improvisation et la collaboration. Il travaille régulièrement avec des artistes de la danse et de la musique. Son travail prend la forme de concerts, d’écrits, d’expositions, d’œuvres scéniques et de performances in situ. Ses projets récents ont été présentés au Musée d’art de Joliette, au Musée Contemporain d’art des Laurentides, à l’Art Gallery of York University et au Suoni Per Il Popolo. Il est titulaire d’une maîtrise en beaux-arts de la School of the Art Institute of Chicago et apprend actuellement à fabriquer des vêtements.
FermerCatherine Lalonde est poète, performer et journaliste. Elle a signé La dévoration des fées (Quartanier), prix Alain-Grandbois 2018 et finaliste au Prix du Gouverneur Général. Corps étranger (Quartanier) a reçu le Prix Émile-Nelligan 2008. Formée aux Ateliers de danse moderne de Montréal, elle a dansé JOE de Jean-Pierre Perreault et a été interprète pour Marie Claire Forté, Lin Snelling et Guy Cools, et Jean-François Boisvenue. Elle travaille depuis 2008 pour le quotidien de Montréal Le Devoir comme critique de danse et reporter culturel.
FermerAshlea Watkin est une ergothérapeute avec une pratique ancrée en éducation du mouvement et en performance. Elle s’est produite à travers le Canada et en France. En 2014, elle a collaboré avec PME-ART pour la création Adventures can be found anywhere, même dans la mélancolie. La recherche d’Ashlea s’articule au sein de pratiques individuelles et collectives d’observations et d’exploration sensorielles et corporelles. En tant que performeuse, elle privilégie les occasions lui permettant de sortir de sa zone de confort pour développer sa relation – à soi, au lieu et aux autres. Ashlea vit sur l’île de Vancouver.
FermerJacob Wren s’adonne à diverses formes de créations en littérature, en performance et en arts visuels. Parmi ses titres publiés, notons, Un sentiment d’authenticité : ma vie avec PME-ART (2018), Rich and Poor (2016), Polyamorous Love Song (2014), Revenge Fantasies of the Politically Dispossessed (2010), La famille se crée en copulant (2007), Le Génie des autres (1998).
À titre de codirecteur artistique avec Sylvie Lachance du groupe interdisciplinaire PME-ART, il a notamment cocréé les œuvres performatives Un sentiment d’authenticité : mode d’emploi (2018), Toutes les chansons que j’ai composées (2012), Le DJ qui donnait trop d’information (2011), L’individualisme est une erreur (2008). Plus récemment, avec PME-ART, il a coorganisé la conférence en ligne Vulnérables paradoxes (2020) ainsi que la publication PDF gratuite correspondante, En réponse à Vulnérables paradoxes (2021). La présence de Jacob Wren sur Internet se caractérise par son affection marquée pour les citations.
FermerL'entretien
Le projet Adventures can be found anywhere, même dans la répétition soulève des enjeux passionnants sur notre rapport à l’art. Selon vous, quelles questions pose-t-il à la littérature ?
Sylvie Lachance : Notre travail reflète notre vision très ouverte de ce qu’est une œuvre d’art. Pour nous, aucun artiste ni aucune œuvre ne sont parfaits ou intouchables. Nous voulons aussi explorer en quoi la littérature appartient à tout le monde et non pas uniquement aux spécialistes. Les artistes qui participent au projet viennent de plusieurs disciplines artistiques, notamment la littérature, la performance, la danse, le théâtre et la musique, et ont différentes relations à la littérature et aux publications.
Jacob Wren : Le réalisateur Andreï Tarkovski a dit un jour que si un livre est lu par un million de personnes, il devient un million de livres différents. Pour moi, le processus de réécriture qui nous occupe ici évoque de manière à la fois littérale et ludique comment la littérature s’inscrit dans notre vie, d’une manière toujours nouvelle, jamais fixée. Il traduit aussi l’engagement suscité par un texte : lorsqu’on aime un livre, il fait partie de nous et se modifie avec nous.
Le travail collaboratif et les aménagements qu’il impose font partie de l’ADN de PME-ART. Parlez-nous de la friction entre le groupe et l’individu dans votre travail.
J.W. : Ce qui m’apparait invariablement vrai, même si j’ai toujours un peu de difficulté à la conceptualiser, c’est que le groupe ne peut exister sans les individus et les individus ne peuvent exister sans le groupe. En un sens, toutes nos activités artistiques sont une tentative de ne pas nier la singularité des artistes au profit de la collaboration. Nous cherchons ensemble comment créer un espace où les désirs, les travers et les obsessions de chacun·e pourront cohabiter et même générer un sens commun.
Lorsqu’il y a des éléments irréconciliables dans le groupe, il faut trouver les meilleures solutions. Il y a une négociation, peut-être même un compromis, mais le plus souvent, nous voulons faire le moins de compromis possible. On pourrait dire que notre approche consiste à inventer un cadre commun dans lequel l’individualité de chacun et chacune pourra exister. C’est une manière d’avoir à la fois le beurre et l’argent du beurre !
S.L. : D’autant plus que nous travaillons avec des artistes d’horizons extrêmement divers qui ont leur propre démarche et leur propre approche artistique. Ça rend le processus encore plus périlleux et enrichissant au final.
Les prémices de cette installation-performance remontent en 2014 à l’invitation de la directrice de la Galerie Leonard & Bina Ellen, Michèle Thériault. Près de huit ans plus tard, en quoi cette nouvelle présentation au FTA vous a-t-elle permis de la repenser ?
J.W. : Au cours de la création, nous avions travaillé à partir d’un livre différent et le projet s’intitulait plutôt Adventures can be found anywhere, même dans la mélancolie. Au moment de reprendre le travail, l’une d’entre nous a proposé d’essayer de changer de texte. Cette idée nous a immédiatement semblé séduisante et nous avons compris que le sujet de notre travail n’était pas l’œuvre littéraire en tant que tel, mais plutôt le processus de la réécrire et de la performer. Nous ne souhaitons pas glorifier un·e artiste en particulier. Ce qui nous anime vraiment, c’est l’engagement artistique envers la littérature.
Tous les membres du groupe ont alors proposé une œuvre à réécrire et nous avons fait l’exercice pour chacune. Au fil du processus, un premier livre a d’abord été éliminé, puis un autre, et à la fin, il n’en restait plus qu’un seul, Renaître : journaux et carnets (1947-1963) de Susan Sontag.
Pourquoi avoir arrêté votre choix sur ce premier tome des trois volumes des journaux intimes de Susan Sontag ? Et quelle sera votre approche de réécriture ?
J.W. : Cela a été une décision plutôt instinctive et je ne sais pas très bien l’expliquer encore. Nous avons trouvé le journal de Sontag très touchant et nous avons été saisi·e·s par le fait qu’il possède une sorte d’immédiateté et une grande ouverture. Je crois que le processus de réécriture de cette œuvre sera celui qui nous permettra de comprendre réellement pourquoi nous avons choisi de la réécrire.
L’objectif est de rendre le livre « un peu plus collectif et un peu plus près de nous ». Nous voulons bien sûr affirmer que nous transformons le texte par le caractère collectif de notre travail. Le fait que nous entreprenons ce projet aujourd’hui est aussi très important. Sontag a écrit ses carnets il y a plus de 50 ans, nous sommes des personnes différentes de celles que nous aurions pu être à cette époque. Travailler à amener quelque chose du passé dans le présent nous anime continuellement dans notre travail de réécriture.
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Les membres du groupe PME-ART décrivent leur performance comme l’action de réécrire les journaux de Sontag. Le projet est guidé par leurs échanges en tant que performeuses et performeurs en conformité avec une conception de la lecture comme processus actif, ouvert et générateur. Comment définiriez-vous la réécriture en la distinguant de l’acte de copier? Quelles questions une telle réécriture pose-telle à la notion d’autrice ou d’auteur? Quel est le statut d’une œuvre réécrite?
FermerLes journaux intimes sont rédigés à l’usage exclusif de l’autrice ou de l’auteur et constituent, du moins à l’origine, des textes sans lecture. À l’occasion de cette performance, une voix individuelle est répartie entre plusieurs performeuses et performeurs. Comment vous apparaît-il que PME-ART interprète la différence entre intimité et vie privée? En lisant les pages recueillies sur les tablettes au mur, où reconnaissez-vous les mots de Sontag et à où devenez-vous sensible aux inflexions apportées par les performeuses et performeurs?
FermerLe processus et la configuration de cette performance répondent à une autre performance présentée il y a huit ans. En outre, plusieurs des performeuses et performeurs sont les mêmes. Ce qui crée un nouvel enjeu : la réécriture collective devient la citation de et le retour sur cette performance antérieure. À travers ce jeu d’échos, où trouvez-vous votre place en tant que spectatrice ou spectateur, en tant que lectrice ou lecteur? Comment incorporez-vous ce jeu de reflets et de retours à votre manière de naviguer la performance ?
FermerBIBLIOGRAPHIE
Albenga, Viviane. « « Devenir soi-même » par la lecture collective. Une approche anti-individualiste ». Culture & Musées 17 (2011) : 85-106
Barthes, Roland. « La mort de l’auteur ». Dans Le bruissement de la langue. Essais critiques IV, 63-69. Paris : Seuil, 1984.
Gervais, Bertrand. À l’écoute de la lecture. Québec : Nota bene, 2006.
Lehmann, Hans-Thies. Le théâtre postdramatique. Traduit de l’allemand par Philippe-Henri Ledru. Montreuil : L’Arche, 2002.
Rancière, Jacques. Le Spectateur émancipé. Paris : La Fabrique, 2011.
Sontag, Susan. « Contre l’interprétation ». Dans L’oeuvre parle, 11-30. Traduit de l’anglais par Guy Durand.Paris : Christian Bourgois éditeur, 2010.
Steiner, George. Le Silence des livres. Traduit du français par Michel Crépu. Paris : Arléa, 2007.
Wren, Jacob. Un sentiment d’authenticité. Ma vie avec PME-ART. Montréal : Éditions Triptyque, 2021.
FermerPOUR DE PLUS AMPLES RENSEIGNEMENTS
CRÉDITS
Création, interprétation et installation : Burcu Emeç + Marie Claire Forté + Nadège Grebmeier Forget + Adam Kinner + Catherine Lalonde + Ashlea Watkin + Jacob Wren.
Contribution artistique : Claudia Fancello
Texte : Susan Sontag, Renaître : journaux et carnets (1947-1963) traduit de l’anglais (États-Unis) par Anne Wicke © Christian Bourgois Éditeur (2010) + Reborn: Journals & Notebooks 1947-1963 © The Estate of Susan Sontag (2008) avec la permission de The Wylie Agency (Royaume-Uni)
Coordination artistique : Sylvie Lachance
Conseillère à la production : Lynda Gaudreau
Administration : Richard Ducharme
Coproduction Festival TransAmériques + Galerie Leonard & Bina Ellen. Coprésentée par la Galerie Leonard & Bina Ellen
Entretien et profil PME-ART : Sara Fauteux
Traduction : André Lamarre
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