Un intervalle se pose toujours entre la publication initiale d’un texte dans une langue dite « originale » et sa traduction, ou entre le moment de l’exposition inaugurale d’une oeuvre et les occurrences de ses présentations subséquentes.
Dans ce projet décliné en deux volets le commissaire Vincent Bonin se penche sur l’une des manifestations de cette réception différée : l’import d’ouvrages de philosophes français au sein des milieux de l’art anglophone depuis la fin des années 1970 jusqu’à aujourd’hui. Bonin esquisse cependant cette trajectoire de la « French Theory » d’une façon indicielle, en évoquant le réseau de communautés affinitaires d’artistes, de critiques et de commissaires constitué au cours de la parenthèse du postmodernisme (1977-1990).
D’un discours est découpé en cinq blocs correspondant à l’enfilade des cinq salles de la galerie. Cet enchaînement des œuvres et des documents contourne la cohabitation spatiale arbitraire ou thématique en accentuant les liens déjà présents entre les protagonistes.
EXPLOREZ
- Les notions de traduction, de traductibilité et de culture, et comment elles sont mises en jeu dans cette exposition;
- Comment la traduction se relie à la conception commissariale d’une exposition collective;
- Les conventions de l’exposition et de la mise en place visuelle, comment elles sont abordées et mises en question ici;
- Le plaisir visuel;
- Les relations que cette exposition établit entre son, image et texte;
- Les divers types de documents présentés ici et leur statut dans l’exposition;
- Comment on peut lire cette exposition : explorez le rôle joué par le récit, comment il progresse et se déplie;
- La « théorie française » et comment elle est présentée dans cette exposition;
- Les questions et les perspectives politiques, leur présence et leur représentation;
- L’histoire, le rôle qu’elle joue dans cette exposition et les moyens par lesquels elle est rendue vivante à travers les documents et les œuvres;
- Comment les œuvres historiques et les œuvres contemporaines interagissent dans l’exposition;
- Comment le point de vue du commissaire s’exprime dans cette exposition.
Produit avec l’appui du Frederick and Mary Kay Lowy Art Education Fund.
Cette exposition est réalisée avec l’appui du Conseil des Arts du Canada.
Berwick Street Collective, Andrea Fraser, Jean-Luc Godard, Group Material, Peter Halley, International Defence and Aid Fund for Southern Africa, Gareth James, Mary Kelly, Karen Knorr, Jon Knowles, Duane Lunden, Thérèse Mastroiacovo, Anthony McCall, Anne-Marie Miéville, Philip Monk, Laura Mulvey, Claire Pajaczkowska, Jeff Preiss, Yvonne Rainer, Andrew Tyndall, Jeff Wall, Ian Wallace, Jane Weinstock, Peter Wollen
Présentée en collaboration avec Dazibao
Commissaire : Vincent Bonin
LE COMMISSAIRE
Vincent Bonin est auteur et commissaire d’expositions indépendant. De 2000 à 2007, il a travaillé en tant qu’archiviste à la fondation Daniel Langlois pour l’art, la science et la technologie (Montréal). À titre de commissaire, il a notamment organisé le projet tripartite (réunissant deux expositions et une publication) Protocoles documentaires (1967-1975), à la Galerie Leonard-et-Bina-Ellen de l’Université Concordia (2007-2008) et, avec Catherine Morris, Materializing « Six Years »: Lucy R. Lippard and the Emergence of Conceptual Art (2012-13) au Brooklyn Museum. La publication du meme nom, sous la direction de Bonin et de Morris, est éditée par MIT Press. Outre ses recherches sur les pratiques d’art conceptuel des années 1960 et 1970, Bonin s’intéresse à la signification sociale des archives, et au renouvellement de la forme documentaire dans le domaine de l’art contemporain.
FermerL'EXPOSITION
Jon Knowles, Left foot, 2013
Peinture sur attelle, clous
Avec le concours de l’artiste, Montréal
Jon Knowles, Alice, 2013
Impression à jet d’encre sur toile
Avec le concours de l’artiste, Montréal
Ian Wallace, For an Ethic of Ambiguity, 1969
Collage sur papier, quatre pages
Avec le concours de l’artiste, Vancouver
Ian Wallace, Untitled (In the Studio with Table), 1969/1992
Épreuve argentique
Collection de Moshe Mastai, Vancouver
Duane Lunden, Jeff Wall, Ian Wallace, Free Media Bulletin 1, 1969
Pages ronéotypées et brochées, enveloppe
Avec le concours d’Ian Wallace, Vancouver
Ian Wallace, Image/Text, 1979
Bande vidéo transférée sur DVD, 29 min 12 s
Avec le concours de la Catriona Jeffries Gallery, Vancouver
Thérèse Mastroiacovo, Art Now (2005 – aujourd’hui)
Graphite sur papier
Art Now (Now Appearing, 1996), 2013
Art Now (The situation now: a survey of local non-objective art, 1995), 2013
Art Now (Living Here Now – Art & Politics, 1999), 2013
Art Now (Feminism now: theory and practice, 1985), 2013
Art Now (Now see here! : art, language and translation, 1990), 2013
Art Now (Everybody now: the crowd in contemporary art, 2001), 2013
Art Now (As of Now, 1983), 2013
Art Now (Signs of change: social movement cultures, 1960s to now, 2010), 2013
Art Now (Strategies of survival-now! : a global perspective on ethnicity, body and breakdown of artistic systems, 1995), 2013
Art Now (Environments Here and Now, 1985), 2013
Avec le concours de l’artiste, Montréal
En 2012, la galerie acquérait dix œuvres de la série, qui furent présentées dans le cadre de l’exposition Interactions, commissariée par Mélanie Rainville la même année (30 août – 27 octobre). Les 10 dessins montrés ici sont accrochés sur le mur nord de la salle A, exactement à l’endroit où se trouvait la série dans Interactions.
Mary Kelly, Post Partum Document, Part II (analysed utterances and related speech events), 1975
Texte imprimé en creux (à l’encre d’imprimerie) sur papier et caoutchouc encré ; texte imprimé à l’encre sur fiche (23 panneaux); impressions électrostatiques sur papier (2 panneaux); photographie noir et blanc (1 panneau)
Collection du Musée des beaux-arts de l’Ontario, Toronto. Don du Junior Committee Fund, 1987
Mary Kelly, Conférence, local H-110, Pavillon Hall, 1455 de Maisonneuve Ouest, Université Concordia, Montréal, 9 décembre 1988
Enregistrement sonore, 73 minutes 21 secondes
Fonds La Centrale, Gestion des documents et des archives, Université Concordia
Conférence organisée par Gail Bourgeois pour La Centrale, Galerie Powerhouse, en collaboration avec le Comité sur le statut de la femme, Université Concordia
L’enregistrement a été réalisé par Bourgeois, qui a également rédigé et lu la biographie de Mary Kelly avant la conférence
Mary Kelly, Interim part 1 : Corpus
Affiche de l’exposition à la Galerie Powerhouse, Montréal, 26 novembre – 18 décembre 1988. Fonds La Centrale : Galerie Powerhouse, Service de Gestion des documents et des archives, Université Concordia, Montréal
Laura Mulvey et Peter Wollen, Riddles of the Sphinx, 1977
Film 16 mm transféré sur DVD, 91 min
Distribué par le British Film Institute, Londres
Yvonne Rainer, The Man Who Envied Women, 1985
Film 16 mm transféré sur DVD, 125 min
Distribué par Zeitgeist films, New York
Peter Halley, Prison, 1987
Formage sous vide du support plastique, sérigraphie, 4/18
La collection Sonnabend, New York
Cette impression à tirage limité a été produite et vendue par Editions Ilene Kurtz, New York, en 1987
« Dans un contexte où le conceptualisme résistait à la théorie de la subjectivité, j’avais stipulé que, si le médium était composé non seulement d’un support physique, mais aussi d’un support technique, accompagné d’une série de procédures ou règles, alors, dans mon cas, les règles avaient été générées par une méthode au sein de laquelle l’indexicalité matérielle restait le moyen adéquat de traduire les affects psychiques en forme. »
Mary Kelly, « On Fidelity : Art, Politics, Passion and Event », Feminism is Still Our Name : Seven Essays on Historiography and Curatorial Practices, sous la direction de Malin Hedlin Hayden et Jessica Sjoholm Skrubbe, Newcastle upon Tyne, Cambridge Scholars, 2010, p. 5.
Au cours d’un entretien réalisé en 2010, Ian Wallace distingue un moment structuraliste (fin des années 1960) et une période sémiotique (années 1970) de sa pratique, dont chacune des œuvres échantillonnées ici pourrait représenter un objet de transition.1 Wallace a réalisé le Free Media Bulletin no. 1 en 1969 avec Duane Lunden et Jeff Wall, grâce à l’imprimerie d’Intermedia Society.2 Le périodique comprend un échantillon d’articles qui constituaient un champ de références communes aux trois artistes.3 Dans sa forme, on peut comparer Free Media Bulletin aux publications produites lors de la même période à Vancouver sur le mode de l’assemblage ou du collage. Or au chapitre du contenu, il s’en distingue, car non seulement Lunden, Wall et Wallace s’éloignaient-ils des utopies de Fluxus et de l’art conceptuel, mais ils étaient alors conscients de la valeur ajoutée de l’information une fois mise en circulation. Les textes disposent ainsi d’un statut de manifeste lorsqu’ils sont transmis aux pairs (et à des destinataires qui constituent une famille intellectuelle élective) pour montrer que les trois artistes en périphérie participent aux débats « métropolitains ».
Dans For an Ethic of Ambiguity (1969), Wallace a poursuivi son intérêt à l’égard de l’interface entre la dissémination du discours et les occurrences matérielles de son énonciation en utilisant un verre de vin afin de découper un cercle au centre de quatre pages de l’ouvrage de Simone de Beauvoir Pour une morale de l’ambiguïté (1947). La page 146 s’affiche dans la page 145, ainsi de suite. Ce procédé de collage prisé par Wallace crée une zone d’incomplétude à la fois dans la continuité de la lecture du texte et au sein de l’expérience visuelle des pages. Dix ans plus tard, en 1979, Wallace s’est inspiré de la structure graphique du livre de Stéphane Mallarmé Un coup de dé jamais n’abolira le hasard (1897) pour extrapoler la grille d’Image/text. D’abord conçu comme panneaux photographiques alternant la couleur et le noir et blanc, Image/text a été également « animé » en vidéo, sous la forme de plans proposant un « modèle » de la séquence d’images.4
Au sein de la communauté que formait alors Mary Kelly avec ses pairs activistes, cinéastes et théoriciens, la relecture de Freud par Jacques Lacan jouaient un rôle de premier plan pour dépasser une première vague de féminisme essentialiste.5 Lorsque l’artiste a amorcé Post-Partum Document en 1973, son discours de Rome de septembre 1953 intitulé « Fonction et champ de la parole et du langage en psychanalyse » (The Function and Field of Speech in Psychoanalysis), traduit par le vancouverois Anthony Wilden, était accessible aux lecteurs anglo-saxons.6 Dans son introduction à la version publiée de Post-Partum Document, Kelly précise qu’au moment où elle a complété les parties 1, 2 et 3 de l’œuvre en 1976, ce processus de traduction et d’interprétation était en cours : « La conférence Patriarchy à Londres a clairement indiqué que le débat s’était déplacé de la question de la division des sexes vers la question de la différence sexuelle. Certains lecteurs vont considérer ces formulations comme un « point d’entrée négatif » ou un « espace négatif » avec scepticisme (ou peut-être d’une façon nostalgique?), mais vont se souvenir du contexte et de nos premières tentatives d’articuler un autre rapport au langage (et à la castration) pour les femmes, sans adhérer aux notions essentialistes d’un ordre symbolique séparé.7 »
Avant de débuter Post-partum document, Mary Kelly fut membre du Berwick Street Collective, qui a tourné le film brechtien Nightcleaners (Part 1) (1970-1975), dans la foulée de débats complexes amorcés en 1970 autour des rubriques du documentaire et du cinéma structural.8 Avec Riddles of the Sphinx (1977) Laura Mulvey et Peter Wollen tenteront également de complexifier la dialectique entre la théorie et pratique pour rendre perceptible les modes de reproduction de structures patriarcales et capitalistes dans le tissu du film lui-même.9 Au moment où elle complétait le montage de Nightcleaners (Part 1), 1975, Kelly réalisa l’installation Women and Work : A Document on the Division of Labour in Industry avec Margaret Harrison et Kay Hunt (présentée à la South London Art Gallery). Dans Post-Partum Document, Kelly poursuit cette recherche sur la représentation du travail invisible, mais l’œuvre investit cette fois la simultanéité de trois séquences d’événements: l’expérience de détachement de la mère, l’entrée de l’enfant dans l’ordre symbolique et la production d’une œuvre d’art. Post-partum document est composé de 135 éléments que l’artiste a produit en six étapes entre 1973 et 1979. Dans Part II (analysed utterances and related speech events) (1975) Kelly a enregistré la voix de son fils quand il utilisait des sons et des mots isolés comme énoncés affirmatifs ou négatifs. Elle a continué ce processus pendant cinq mois jusqu’à ce qu’il puisse construire des phrases simples et s’identifier à son image (la phase du miroir de Lacan). Or, cette grille analytique met aussi l’accent sur l’irruption du désir de la mère lorsqu’elle tente de répondre aux besoins de l’enfant. Les mots ont été extraits du flot de la parole, transcrits et souvent mal interprétés. Plus que tout autre partie de Post-partum, l’enchaînement de ces 23 panneaux devient l’allégorie des opérations de traduction que nécessite l’expérience de l’œuvre et qui n’arrivent jamais à satisfaire complètement la pulsion de savoir du spectateur.10
Chaque section de Post-Partum Document, à l’exception de l’introduction, a été acquise par un musée public. Part II (analysed utterances and related speech events) fut ajoutée à la collection du Musée des beaux-arts de l’Ontario en 1987 par Barbara Fischer, au moment où elle, Philip Monk et Roald Nasgaard étaient conservateurs de l’art contemporain. Lorsqu’elle est présentée dans un nouveau contexte, l’œuvre fait généralement l’objet d’une réévaluation critique. Par exemple, en 1998, toutes ses sections furent rassemblées par Sabine Breitwieser à la Generali Foundation, Vienne, tandis que Juli Carson concevait un « supplément » de l’exposition avec les pièces tirées du fonds d’archives de l’artiste, intitulé « Excavating Post-Partum Document, Mary Kelly’s archive 1968-1998.11 » Dans le cadre de « D’un discours », Post-Partum Document est jumelé à un enregistrement de la conférence prononcée par Kelly à l’Université Concordia, le 9 décembre 1988, ainsi que l’affiche de son exposition Mary Kelly, Interim : Corpus 1 à la Galerie Powerhouse (maintenant La Centrale).
En 1979, Anthony McCall, Claire Pajaczkowska, Andrew Tyndall, Jane Weinstock et Ivan Ward signent le film Sigmund Freud’s Dora: A Case of Mistaken Identity, où s’énonce la complexité d’une appropriation de la psychanalyse freudienne et lacanienne afin de bonifier le discours féministe.12 Au début des années 1970, Yvonne Rainer a abandonné la chorégraphie pour se consacrer au cinéma. Son troisième long-métrage The Men Who Envied Woman (1985) illumine le paradoxe de la théorie comme outil de légitimation et vernis social dans le discours de certains protagonistes de la gauche au moment où les artistes ont été forcés de quitter les espaces industriels qu’ils avaient contribué à rénover.
Le travail de Peter Halley a procédé d’une tout autre manière de lire la théorie, mais témoigne également d’une volonté de reconnaître un changement de paradigme dans la production de l’art lors de cette période. En juin 1984, il a publié « The Crisis in Geometry » dans Arts Magazine qui fait état d’une redéfinition de l’abstraction entre les années 1970 et la décennie suivante. En voici un extrait décrivant précisément ce moment de transition : « Depuis 1980, une autre génération d’oeuvres géométriques est apparue, pour laquelle le texte pertinent n’est plus (celui de Michel) Foucault, mais (celui de Jean) Baudrillard. Ce groupe d’artistes ne se revendique pas d’une expérience industrielle. Rapprochons ici l’insistance de (Richard) Serra à ramener de l’avant son passé de travailleur dans les usines de métal et la façon dont (Alice) Aycock utilise les billots de construction. Au contraire, ce groupe émane d’un environnement post-industriel où il ne s’agit plus de faire l’expérience de l’usine et de la production, mais (de prendre en compte) les subdivisions et la consommation.13 »
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1Voir « Then and Now and Art and Politics : Ian Wallace interviewed by Renske Jansen », Ian Wallace : A Literature of Images (catalogue d’exposition), Zurich, Kunsthalle Zurich, Düsseldorf, Der Kunstverein für die Rheinlande und Westfalen, Amsterdam, Witte de With, centre for contemporary art, Berlin, New York, Sternberg Press, 2008.
2Pendant les années 1960, Wallace a été professeur à l’Université de la Colombie-britannique et comptait Duane Lunden, Rodney Graham et Jeff Wall parmi ses étudiants. Plus tard, Il a enseigné avec Wall à la Simon Fraser University, ainsi qu’à la Vancouver School of Art (maintenant l’Emily Carr Institute of Art and Design). Roy Arden Stan Douglas et Ken Lum ont également été ses étudiants.
3 Le Free Media Bulletin comprend, entre autres, « Notes sur le readymade » de Marcel Duchamp tirées de sa boîte verte, un texte de Richard Huelsenbeck évaluant la contemporanéité du dadaïsme, des extraits d’essais d’Ad Reinhardt et du situationniste Alexander Trocchi.
4Wallace apparaît également dans son atelier lors des dernières minutes de la vidéo, faisant écho, dix ans plus tard, à la photographie Untitled (In the Studio with table) qu’il a prise en 1969.
5Voir les traductions de Lacan par Jacqueline Rose dans Feminine Sexuality : Jacques Lacan and the École Freudienne, sous la direction de Juliet Mitchell et Jacqueline Rose, New York, Norton, 1983.
6Jacques Lacan, The language of the self; the function of language in psychoanalysis, Baltimore, Johns Hopkins Press, 1968. Originalement publié sous le titre « Fonction et champ de la parole et du langage en psychanalyse », La psychanalyse, vol. I (Paris, 1956).
7Mary Kelly, « Foreword », Post-Partum Document, Berkeley, University of California Press, Vienne, Generali Foundation, 1999, p. xxiii. Notre traduction. Les sources théoriques de Post-Partum Document se trouvent dans la section « References », p. 196-197. Chacun des ouvrages ou des articles est indexé à l’une ou à plusieurs des sections de l’œuvre.
8En Angleterre, ces protagonistes trouvaient surtout une tribune dans les pages de la revue Screen, fondée afin d’étendre les outils d’analyse de la narration hollywoodienne, de liquider la prévalence de l’auteur et de proposer un modèle de cinéma expérimental politique.
9Interlocutrice de Mulvey et Wollen, Mary Kelly, ainsi que son œuvre Post-Partum Document apparaissent dans l’un des longs plans séquence du film.
10Le dernier panneau de chaque section détourne ainsi le schéma de Ferdinand de Saussure pour remplacer le signifiant par une question, ici, « Why don’t I Understand »?
11Voir Juli Carson, « Re-viewing Post-partum document », Documents, no. 13 (automne 1998) et, plus récemment, Eve Meltzer, « Something at once lost, forgotten, remembered and hoped for. ‘e’ as in ‘me’- Mary Kelly, ‘Documentation VI’ (1978), Post-Partum Document », dans Systems We Have Loved : Conceptual Art, Affect, and the Antohumanist Turn, Chicago, The University of Chicago Press, 2013.
12Riddles of the Sphinx, ainsi que Dora: A Case of Mistaken Identity, figurent au sein d’un programme de films accompagnant l’exposition Difference: On Representation and Sexuality, organisée par Kate Linker et Jane Weinstock au New Museum (8 décembre 1984 – 10 février 1985) et à la Renaissance Society (3 mars – 21 avril 1985) dans laquelle deux sections de Post-partum document ont également été présenté. 13Peter Halley, « The Crisis in Geometry », Arts Magazine, vol. 58, no. 10 (juin 1984).
Vues de l’exposition Resistance (Anti-Baudrillard) organisée par Group Material (Julie Ault, Doug Ashford, Tim Rollins), White Columns, New York, 6 – 28 février 1987
4 épreuves numériques, archives de Group Material, Downtown Collection, Fales Library and Special Collections, New York University, New York Avec le concours de Julie Ault, New York
Namibia in Struggle: Portable Exhibition of Photographs, mise en circulation par The International Defence and Aid Fund for Southern Africa, Londres, 1987
Présentée lors de l’exposition Resistance (Anti-Baudrillard)
Cet exemplaire se trouve désormais dans les archives de Group Material, Downtown Collection, Fales Library and Special Collections, New York University, New York.
Jean-Luc Godard et Anne-Marie Miéville, Six fois deux, sur et sous la communication, épisode 6A, « Avant et après ». Coproduction : Institut national de l’audiovisuel, Sonimage, 1976, 56 min 12 s
La série est diffusée par FR3 en France, à raison de deux épisodes par semaine, entre juillet et août 1976, à 20 h 30. Elle figurait dans son intégralité au sein de l’exposition Resistance (Anti-Baudrillard)
« Anti-Baudrillard », File Megazine, no 28, 1987
non-paginé
Avec le concours de Vincent Bonin, Montréal
« Une jungle théorique nous entoure. Proliférant depuis son immobilisme, celle-ci présente des dangers réels – la dissolution de l’histoire, la défiguration de toute actualité hors du connu et la tentative de désavouer la pratique. L’activisme est alors perçu comme une illusion dans une culture illusoire. À cause de ce confinement imposé à nous-même, l’art devient confortable, la critique se mue en style, le politique est confondu avec l’idéalisme, et ultimement, (la transmission de) l’information s’avère impossible. Group Material réfute cette philosophie opératoire de la subordination en proposant l’exposition Anti-Baudrillard (Resistance) (sic) […].»
Extrait de la proposition, rédigée en Octobre 1986. Resistance (Anti-Baudrillard) aura lieu à la galerie White Columns entre le 7 et le 28 février 1987.1 Doug Ashford, Julie Ault et Tim Rollins formaient Group Material lors de l’organisation de l’exposition.
Le collectif s’est constitué en 1979 autour d’intérêts communs de ses membres pour le discours féministe, le mouvement des droits civils, les théories marxistes ainsi qu’une appartenance au réseau informel de collectifs, d’espaces alternatifs, de périodiques issus du milieu des arts sans but lucratif de New York. Avant leur dissolution en 1996, ils réalisaient simultanément des interventions urbaines ou médiatiques (affiches, encarts publicitaires) et des expositions thématiques. L’accrochage all over de celles-ci jumelait des œuvres d’artistes consacrés ou moins connus à des artefacts/objets et documents divers. Doug Ashford décrit ainsi rétrospectivement cet éclectisme : « Des tableaux abstraits se trouvaient à l’endroit où l’on aurait dû voir de l’insurrection, des dessins d’enfants étaient présentés tout proche de publicités électorales et des tableaux de chefs d’État […]. La critique institutionnelle était submergée par la diffusion des adaptations easy listening de balades révolutionnaires des années 1960, ainsi de suite ».2 En 1982, avec l’exposition Primer (for Raymond Williams) le collectif s’est approprié le lexique terminologique proposé par Williams dans Keywords: A Vocabulary of Culture and Society (1976) pour tenter de faire se côtoyer l’art contemporain et la culture populaire.
Investissant de nouveau la dialectique de la théorie et de la pratique, Resistance (Anti-Baudrillard) allait fournir un contre-exemple au recyclage nihiliste des thèses de Jean-Baudrillard par Peter Halley et d’autres protagonistes du champ de l’art. Group Material y a rassemblé à la même enseigne des œuvres de représentants de leur communauté affinitaire qui offraient, selon eux, la preuve indéniable d’une « réalité politique »3 contre la logique du simulacre. Les enjeux abordés ont couvert le spectre des états de fait dénoncés antérieurement par le collectif : impérialisme américain en Amérique du Sud, Apartheid, etc. De plus, Rollins, Ashford et Ault se sont livrés à une archéologie de l’agit-prop en présentant sous forme de reproduction des œuvres clefs des avant-gardes historiques. Or, Group Material n’a pas complètement opposé les camps théoriques. Il a plutôt encouragé des prises de position ambivalentes à l’égard de Baudrillard et par extension, de la résistance. Dans sa contribution intitulée ‘Resistance’ or Why I Am Not ‘Anti-Baudrillard’, Barbara Kruger a ainsi cité un texte du philosophe où ce dernier relevait les failles du raisonnement antinomique.4 En complément, Group Material a également organisé une table ronde à huis clos réunissant les artistes Judith Barry, Peter Halley, Oliver Wasow, Julie Wachtel et le critique William Olander afin de débattre plus spécifiquement de cette relation complexe que chacun d’eux entretenait avec Baudrillard (« une mauvaise histoire d’amour » selon le mot de Barry). Group Material a ensuite distribué un fascicule renfermant une version écourtée de la transcription de la discussion. Quelques mois plus tard, le collectif canadien General Idea a diffusé ce texte dans le numéro 28 de la revue FILE Megazine, rassemblant des interventions d’artistes qui utilisaient alors « le langage et le thème de la marchandise (commodity) comme surface-tableau pour déployer leur travail ».5 À l’exception de quelques multiples (dont Untitled de 1991) ponctuellement exposés6 et outre la fortune critique,7 le travail de Group Material se cantonne désormais aux retombées matérielles des projets conservées à la Fales Library ou quelquefois dans les dossiers d’exposition d’institutions comme White Columns les ayant accueilli.8 Le dossier de Resistance comprend des vues de l’installation et des listes provisoires d’œuvres révélant la délibération entare les membres pour en arriver à un consensus. Il renferme également des matériaux de recherche, des copies revues et corrigées de la transcription de la table ronde, de la correspondance avec des artistes et des critiques, ainsi que la publication Namibia in Struggle : Portable Exhibition of Photographs.
J’ai invité Julie Ault à réactualiser Resistance (Anti-Baudrillard) dans le cadre de « D’un discours », en espérant qu’elle augmenterait la notice de l’exposition au sein de sa chronologie commentée. Sans décliner, elle m’a plutôt suggéré de produire ma propre découpe fragmentaire de l’événement en me demandant cependant d’éviter toute tentative de reconstitution. Comme elle le précisait dans un texte sur les vies ultérieures de Group Material : « Lorsque le groupe s’est dissous en 1996, j’avais l’intention d’en préserver la dimension éphémère, résistant à son devenir historique, et – au moins initialement – luttant contre la conséquence de confier la responsabilité de l’interprétation à des historiens ou des commissaires. […] Un intérêt marqué pour Group Material s’est manifesté depuis sa dissolution. Cet engouement survivrait-il si la combinaison de l’accès fragmentaire (aux documents) et un statut amorphe (du collectif) encourageant les projections était compensé par la forme intrinsèquement conservatrice du fonds d’archives et du livre? » […] « Les contextes ne peuvent pas se dupliquer. Il est impossible de reproduire le climat des circonstances, les perceptions et la compréhension d’un événement » […] »9
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1Julie Ault, « Chronicle: 1979-1996 », Show and Tell: A Chronicle of Group Material, sous la dir. de Julie Ault, Londres, Four Corners Books, 2010, p. 119. Notre traduction.
2Doug Ashford, « An Artwork is a Person », ibid., p. 223.
3Conrad Atkinson, Bruce Barber, Gretchen Bender, Joseph Beuys, Honoré Daumier. Peter Dunn, Andrea Evans, Madge Gill, Mike Glier, Leon Golub, George Grosz, Hans Haacke, Edgar Heap of Birds, John Heartfield, Janet Henry, Jenny Holzer, Oskar Kokoschka, Barbara Kruger, Louise Lawler, Lorraine Leeson, Susan Meisales, Brad Melamed, Gerhard Merz, Michael Nedjar, Odilon Redon, Nancy Spero, Carol Squiers, Gaston Ugalde, Carrie Mae Weems, Krysztof Wodiczko et Martin Wong. Les programmes vidéo diffusés sur trois moniteurs comprennent les œuvres de Dara Birnbaum, Jean-Luc Godard et Anne-Marie Miéville, ainsi que David Cronenberg.
4Extrait du texte de Barbara Kruger ‘Resistance’ : or why I am not ‘Anti-Baudrillard’ : ‘It is always a question of proving the real by the imaginary, proving truth by scandal, proving the law by transgression, proving work by the strike, proving the system by crisis and capital by revolution, as for that matter proving ethnology by the dispossession of the object… whitout counting; proving theatre by anti-theatre, proving art by anti-art … Every form of power, every situation speaks of itself by denial, in order to attempt to escape, by simulation of death, its real agony […] To seek new blood in its own death, to renew the cycle by the mirror of crisis, negativity and anti-power : this is the only alibi of every power, of every institution attempting to break the vicious circle of its irresponsibility and its fundamental non-existence, of its déjà-vu an dits déjà-mort. »
5General Idea, « Editorial », File Megazine, no 28, 1987, p. 8.
6Dans l’exposition This Will Have Been: Art, Love and Politics in the 1980s, commissariée par Helen Mollesworth, Museum of Contemporary Art of Chicago, 11 février – 3 juin 2012.
7Pour un essai critique exhaustif sur Resistance (Anti-Baudrillard), voir : John Miller, « Jean Baudrillard and his Discontents », Artscribe International, no 63, mai 1987, p. 48-51.
8Ainsi, il est possible de consulter une portion numérisée du dossier des archives de l’exposition Resistance (Anti-Baudrillard) sur le site Web de White Columns: http://www.whitecolumns.org/archive/index.php/Detail/Occurrence/Show/occurrence_id/21
9Julie Ault, « Case Reopened: Group Material », dans Show and Tell : A Chronicle of Group Material, p. 211-212. Notre traduction.
Jon Knowles, Lulu, 2013
Impression jet d’encre sur toile, clous
Avec le concours de l’artiste, Montréal
« Description/Interpretation/Judgement. What is criticism? Parachute Discussions », dans le cadre du colloque Art and Criticism in the Eighties, Ontario College of Art, 17 et 18 mars 1984 (extrait de la période de discussion du 18 mars)
Cassette audio numérisée, 50 min 40 s
Fonds Parachute : revue d’art contemporain, Archives Nationales du Québec, Montréal, don de Chantal Pontbriand
Dans cet extrait, on entend, en ordre, les voix de l’artiste Bruce Barber, des critiques René Payant, Thierry de Duve, Philip Monk, Johanne Lamoureux, Craig Owens et de l’artiste John Scott
Parachute art contemporain/contemporary art
Nº 32 (septembre, octobre, novembre 1983), 42 (mars, avril, mai 1986), 48 (septembre, octobre, novembre 1987)
Avec le concours de Vincent Bonin, Montréal
Vues de l’exposition Magnificent Obsession organisée par Mark Lewis et Geoff Miles, présentation inaugurale: Artculture Resource Centre, Toronto, 20 mai – 8 juin 1985
Mise en circulation à la galerie Optica, Montréal, 19 octobre-16 novembre, 1985
Avec la participation de : Karen Knorr, Mark Lewis, Geoff Miles, Olivier Richon et Mitra Tabrizian
Les sept images numériques projetées dans le cadre de « D’un discours » ont été réalisées à partir de diapositives 35 mm, dossier de l’exposition, fonds Optica, Archives de l’Université Concordia
Karen Knorr, Gentlemen, 1983-1985
Six épreuves numériques d’exposition tirées à partir de fichiers numériques des négatifs 35 mm
Tirages originaux présentés dans le cadre de Magnificent Obsession, Artculture Resource Centre, Toronto, 20 mai – 8 juin 1985
Mise en circulation à la galerie Optica, Montréal, 19 octobre-16 novembre 1985
Copies produites à Montréal par Photosynthèse. Avec le concours de l’artiste, Londres
Philip Monk, Reception French Theory: Toronto, Montréal, 14 novembre 2013
37 min 54 s
Produit par la Galerie Leonard-et-Bina-Ellen
Vidéo et montage : Deborah VanSlet
Philip Monk, Peripheral Drift, A Vocabulary of Theoretical Criticism
Toronto, Rumour, 1979
Avec le concours d’Artexte, Montréal. Don de René Payant, 1988. Monk avait envoyé Peripheral Drift […] au critique d’art montréalais René Payant. En 1987, ce dernier donna les catalogues d’exposition de sa bibliothèque personnelle au Centre de documentation Artexte, tandis qu’il légua les ouvrages théoriques (sémiotique, esthétique, philosophie, théorie littéraire) à la Bibliothèque des sciences humaines et sociales, Pavillon Samuel-Bronfman, Université de Montréal.
« Oui, vous avez ma permission pour photocopier le fascicule. J’en ai sorti un exemplaire de mon espace d’entreposage l’autre jour […]. Il a été publié par Rumour, maison d’édition que dirigeait alors Judith Doyle […]. Rumour n’a publié que quelques titres. L’un d’entre eux était un ouvrage (plus près d’un livre cette fois) de Kathy Acker. Le texte [de Peripheral Drift] a découlé de mon insatisfaction avec la critique d’art traditionnelle et a préfiguré mes autres textes performatifs, que l’on qualifiait alors de “fictions théoriques”. Ceux-ci figurent dans la première partie de mon livre Struggles with the image. Les sources et les influences sont évidentes. J’ai rédigé un texte complémentaire qui tisse de nouveau le filon “Anti-Œdipien” (de Peripheral Drift), une entrevue avec moi-même (« Theoretical Dance : This Body is in Creation, » Only Paper Today, vol 6 no. 8, octobre 1979, p. 18). Aussi, j’ai poursuivi la réflexion amorcée dans Peripheral Drift en écrivant « Terminal Gallery/Peripheral Drift », qui sera publié au sein de « Spaces by Artists/Places des artistes», Toronto, ANNPAC, 1979, p. 32-35. »
Philip Monk, extraits d’un courriel envoyé à Michèle Thériault, 18 octobre 2013.
Lors de la première portion des années 1980, le périodique montréalais Parachute1 a exceptionnellement favorisé l’intégration des discours théoriques francophones au sein de cercles d’intellectuels anglophones canadiens, tout en publiant des articles inédits dans la première langue (fréquemment rédigés par des auteurs québécois).2 Ces essais issus de contextes complètement différents se côtoyaient, suggérant au lecteur des allées et venues inusitées entre, par exemple, l’intérêt de Jeff Wall pour Édouard Manet et les recherches de George Didi- Huberman sur l’iconographie de l’hystérie par Jean-Martin Charcot.3 En retour, les colloques de la revue ont permis aux contributeurs de se rencontrer en vis-à-vis, de souligner les filiations, d’arrimer les réflexions complémentaires ou de faire surgir les dissensus.4 De plus, le contenu en langue anglaise des numéros de cette époque préfigurait quelquefois les courants d’idées de la « French Theory » filtrés au cours des années suivantes par les protagonistes des milieux de l’art new-yorkais et londoniens. Dans le nº 32 (automne 1983), Kate Linker a ainsi publié un article posant les assises de l’exposition On Difference: Representation and Sexuality qu’elle a co-commissariée avec Jane Weinstock au New Museum en 1985.5 Durant cette période, tandis que Parachute était à la page, peu d’expositions au Canada feront état de ce croisement entre la deuxième vague du discours féminisme et le concept de représentation.
Or en 1985, Magnificent Obession comblera partiellement la lacune. Organisée par Mark Lewis et Geoff Miles à l’Artculture Resource Centre, Toronto, puis mise en circulation au centre d’artistes Optica, Montréal, cette exposition réunissait leurs travaux et ceux de leurs collègues de classe britanniques (Karen Knorr, Olivier Richon et Mitra Tabrizian). Ils se sont rencontrés dans le cours de Victor Burgin, au Polytechnic of Central London (maintenant la University of Westminster). Burgin y enseignait alors surtout la photographie, mais intégrait à son cursus des textes de Roland Barthes, de Louis Althusser et de Jacques Lacan, ainsi que des articles tirés des revues New Left Review et Screen. Fréquente contributrice de Screen, la théoricienne et cinéaste Laura Mulvey a rédigé l’essai du catalogue de Magnificent Obsession, également publié dans le numéro 42 de Parachute. Elle y commente la filiation complexe entre Lewis, Miles, Knorr, Richon, Tabrizian et sa communauté affinitaire constituée au cours des années 1970 (dans laquelle se trouvait, entre autres, Burgin, son collaborateur et conjoint Peter Wollen et Mary Kelly) : « Ces photographies sont le fruit du travail d’une autre génération, délestée de l’esthétique de la confrontation des années 1970. Les influences formelles (de cette génération) sont encore présentes, car ils (les artistes) partagent (avec leurs aînés) des intérêts et des préoccupations. En retour, on perçoit des différences importantes et notables, particulièrement en ce qui concerne le réalisme et le plaisir. Il semblerait que la longue et dure lutte contre la transparence du réalisme et du plaisir du spectateur, perpétuée par la tradition et les normes (au sein desquelles l’utilisation de l’image de la femme est emblématique), a implosé et atteint ses limites. Depuis les débris, un langage et une imagerie peuvent émerger, qui ne sont plus engoncés dans une dichotomie du « soit ceci/soit cela ». Cependant, il n’y a pas ici d’esprit de compromission ou même une tentative de synthèse. Les valeurs et les désirs de ce groupe se sont développés au cours d’un processus d’assimilation des matériaux qui les avaient influencés initialement, jusqu’à ce que le recul et le déplacement leur permettent de transformer les préoccupations à l’égard du “plaisir” et du “réalisme” en jeu et en ironie. »6
En 1986, Mark Lewis, Christine Davis, Janine Marchessault et Andrew Payne ont fondé le collectif Public Access à Toronto avec. Dans le numéro 48 de Parachute, ils ont diffusé un texte proche du manifeste, qui proposait un autre modèle d’intervention artistique basée sur les concepts d’espace public et de démocratie sans contourner le problème de « l’institutionnalisation du conflit. »7 Une version augmentée de ce texte paraissait dans le catalogue de l’exposition Some Uncertain Signs, organisée par le groupe pendant la même année, qui constituait également le premier numéro de leur revue Public. Tablant sur l’exceptionnelle accessibilité d’un babillard électronique dans le centre-ville de Toronto, Lewis, Davis, Marchessault et Payne ont demandé à 22 collaborateurs de leur fournir des énoncés dont la polysémie initiale était exacerbée par une mise en circulation dans ce nouveau dispositif, l’anonymat les retirant de l’emprise du nom propre qui engendre de facto la valeur ajoutée de l’œuvre.8
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1La revue a été fondée par Chantal Pontbriand et France Morin en 1975. Le dernier numéro (125) paraissait en janvier 2007. Deux anthologies, sous la direction de Pontbriand, réunissent un échantillon de textes : Parachute : Essais choisis, Paris, Lettre Volée, 2000 en français et Parachute : the anthology, vol. 1, Zurich, JRP-Ringier, 2012, en anglais. Entre 1983 et 1987, le comité de rédaction comprenait (en rotation, selon le contenu des numéros) les personnes suivantes : Serge Bérard, Robert Graham, Bruce Greenville, Johanne Lamoureux, Martine Meilleur, Philip Monk, Jean Papineau, René Payant, Richard Rhodes, Thérèse St-Gelais.
2À cette époque, Serge Bérard, Raymond Gervais, Johanne Lamoureux, Jean Papineau, René Payant et Christine Ross écrivaient fréquemment pour la revue.
3Jeff Wall, « Unity and Fragmentation in Manet », Parachute, no. 35 (juin, juillet, août 1984), p. 5-7. George Didi-Huberman, « Une notion du ‘corps-cliché’ au XIX siècle », ibid., p. 8-14. En 1979, le Conseil des Universités a commandé un rapport au philosophe français Jean-François Lyotard qui avait comme objectif de faire état de la valeur du savoir universitaire à l’ère de l’informatisation (http://www.cse.gouv.qc.ca/fichiers/documents/publications/ConseilUniversite/56-1014.pdf). Plus tard, dans la même année, une version augmentée de ce texte fut publiée par les Éditions de Minuit sous le titre, La condition postmoderne: rapport sur le savoir. Le rapport dans sa version initiale n’a pas eu l’impact souhaité au sein des communautés intellectuelles québécoises et la réception du livre fut plutôt timide en France. Cependant, l’ouvrage a atteint un vaste lectorat lorsqu’il fut traduit vers l’anglais par Geoffrey Bennington et Brian Massumi (Minneapolis, University of Minnesota Press, 1984, avec une préface de Fredric Jameson).
4Entre autres, les colloques Performance : postmodernisme et multidisciplinarité, Université du Québec à Montréal, 1980 et Discussions : Art and Criticism in the Eighties, Ontario College of Art, 1984.
5Kate Linker, « Representation and Sexuality », Parachute no 32 (septembre, octobre, novembre 1983), p.12-23. Le New Museum fut le premier point de chute de Difference: On Representation and Sexuality (8 décembre 1984 – 10 février 1985), puis l’exposition a été présentée à la Renaissance Society, Chicago (3 mars – 21 avril 1985). Pour la documentation de l’exposition au New Museum, voir : http://archive.newmuseum.org/index.php/Detail/Occurrence/Show/occurrence_id/97. Pour le point de chute à la Renaissance Society, voir : http://www.renaissancesociety.org/site/Exhibitions/Intro.Difference-On-Representation-and-Sexuality.95.html
6Laura Mulvey, « Magnificent Obsession », Parachute, no 42 (mars, avril, mai 1986), p. 7. Notre traduction.
7Ils citent ici Claude Lefort. Voir : Public Access Collective, « Public Imaginary », Parachute, no 48 (septembre, octobre, novembre, 1987), p. 21-25.
8L’exposition réunissait des contributions de Don Carr, Michael Cartmell, Christine Davis, Ann Delson, Lynne Fernie, Charles Gagnon, Mary Kelly, Robert Kennedy, Barbara Kruger, Mark Lewis, Less Levine, Janine Marchessault, Murray Pomerance, Michael Snow, David Tomas, Peter Wollen, et al. Voir le compte-rendu de Mark Glassman, « Some Uncertain Signs », Parachute, no 45 (décembre, janvier, février 1986-87), p. 35-36.
Jon Knowles, Right Hand, 2013
Peinture sur attelle
Avec le concours de l’artiste, Montréal
Gareth James, Untitled Stolen Bicycle, 2008
Chassis de bicyclette, maillon de chaine, verre, photographie au jet d’encre
Présentation inaugurale : “The Real is that which always comes back to the same place Broadway between 101st and 102nd Streets, New York, NY 10025, March 21, 2008,” Galerie Christian Nagel, Cologne, 31 mai – 28 juin 2008
Collection de Norah et Norman Stone, San Francisco
Gareth James, The Screwunscrew, 2009
Fil, chambres à air de bicyclette, fer et vis de laiton
Présentation inaugurale : As Yet Untitled / When a Financial Institution Collapses There Is No Spectacular Outpouring of Gold / Glass Transition Temperature. Elizabeth Dee Gallery, New York, 23 mai – 27 juin 2009
Collection de Thea Westreich Wagner et Ethan Wagner, New York
Gareth James, Lui, 2009
Graphite sur impression à jet d’encre sur toile avec chambre à air de bicyclette
Présentation inaugurale : As Yet Untitled / When a Financial Institution Collapses There Is No Spectacular Outpouring of Gold / Glass Transition Temperature. Elizabeth Dee Gallery, New York, 23 mai – 27 juin 2009
Avec le concours de l’artiste et de la Miguel Abreu Gallery, New York
Gareth James, Untitled (Charles de Gaulle, Dress Uniform with Black to White Spiral), 2011
Épreuve chromogénique
Présentation inaugurale : Human Metal, Miguel Abreu Gallery, New York, 22 octobre 2011 – 15 janvier 2012
Collection de Thea Westreich Wagner et Ethan Wagner, New York
Gareth James, Elle, 2011
Peinture d’ardoise sur bois, vis en laiton faite à la main
Présentation inaugurale : Human Metal, Miguel Abreu Gallery, New York, 22 octobre 2011 – 15 janvier 2012
Avec le concours de l’artiste et de la Miguel Abreu Gallery, New York
Gareth James, Untitled (Young Claude Levi-Strauss with Monkey, Fragment Spirals), 2011
Épreuve chromogénique
Présentation inaugurale : Human Metal, Miguel Abreu Gallery, New York, 22 octobre 2011 – 15 janvier 2012
Avec le concours de l’artiste et de la Miguel Abreu Gallery, New York
Gareth James, Untitled (Edward Curtis, Black to White Spiral), 2011
Épreuve chromogénique
Présentation inaugurale : Human Metal, Miguel Abreu Gallery, New York, 22 octobre 2011 – 15 janvier 2012
Avec le concours de l’artiste et de la Miguel Abreu Gallery, New York
Gareth James, Untitled (Edward Curtis with Black Irregular Circle), 2011
Épreuve chromogénique
Présentation inaugurale : Human Metal, Miguel Abreu Gallery, New York, 22 octobre 2011 – 15 janvier 2012
Avec le concours de l’artiste et de la Miguel Abreu Gallery, New York
« Les masques à transformation ne laissent jamais voir la face qu’ils masquent. Ils ne sont d’ailleurs pas adaptés au visage, n’en épousent pas le modelé, ne sont pas faits pour le dissimuler. Ils ne s’ouvrent et ne se ferment que sur d’autres masques […] Leur être se résume à la charnière qui les partage en leur milieu. »
Catherine Malabou, La plasticité au soir de l’écriture : dialectique, destruction, déconstruction, Paris, Éditions Léo Scheer, 2005, p. 14.
Gareth James est né au Royaume-Uni. En 1997, il a quitté Londres et s’est installé à New York afin de poursuivre ses études au Independent Study Program du Whitney Museum. En 2001, sous l’identité d’emprunt du commissaire et théoricien de la couleur Storm Van Helsing, il a organisé l’anti-exposition wRECONSTRUCTION à la American Fine Arts Co.1 Le lieu a été inaccessible au public pendant l’événement. Or James y a programmé des rencontres à huis clos entre des individus triés sur le volet, Colin de Land (le directeur de American Fine Arts Co.), et Van Helsing. Après le décès de de Land et la fermeture de sa galerie, l’artiste a co-fondé la coopérative Orchard dans le Lower East Side, dont la durée de vie (2005-2008) fut prédéterminée par ses membres.2 Depuis 2010, il est professeur au département des beaux-arts de l’Université de la Colombie-Britannique.3 James est représenté par la galerie Miguel Abreu à New York.4
L’échantillon d’œuvres dans la salle D tente de distiller le contenu de trois expositions monographiques de James qui se sont enchaînées entre 2008 et 2011. Sans qu’aucun objet soit visible de nouveau, des éléments de la première exposition surgissaient dans la deuxième, et une portion de celle-ci réapparaissait au sein de la troisième. Le 21 mars 2008, James a volé une bicyclette à New York et l’a montré à Cologne (“The Real is that which always comes back to the same place Broadway between 101st and 102nd Streets, New York, NY 10025, March 21, 2008,” Galerie Christian Nagel, Cologne, 31 mai – 28 juin 2008). Deux épreuves photographiques agissaient comme index de l’occurrence de ce geste sans cependant le décrire: la première donnait à voir le site avant le crime et la seconde la façade du serrurier où l’artiste s’était procuré l’équipement pour briser le cadenas.5 Achetée par le couple de collectionneurs Norah et Norman Stone, la bicyclette est exposée ici pour la première fois en public depuis 2008 grâce à leur générosité (ils ont payé le transport de Oakland vers Montréal et en sens inverse). Malgré cette mobilité relative de l’objet concret, la situation initiale abstraite de l’atteinte à la propriété « revient » toujours à sa place pour hanter la nouvelle circonstance. Afin d’expliciter la portée de son concept d’interpellation, Louis Althusser offre l’exemple du passant qui se retourne lorsque la police le harangue (hé toi!). Contrairement au readymade dont l’existence repose sur une reconnaissance de son statut artistique en aval, la bicyclette volée implique en amont dans le crime l’ensemble de ceux qui réitèrent sa valeur symbolique ajoutée par la négation de son état de fait légal.6 La seconde exposition (As Yet Untitled / When a Financial Institution Collapses There Is No Spectacular Outpouring of Gold / Glass Transition Temperature. Elizabeth Dee Gallery, New York, 23 mai – 17 juin 2009) comble les vides laissés par la première. En convoquant les roues de la bicyclette, les chambres à air portent l’engramme du larcin, mais une fois que celles-ci sont perçues comme contenants, elles s’en affranchissent et deviennent un substrat sculptural.
Sur la couverture de l’édition française des mémoires de Louis Althusser L’avenir dure longtemps (1985, 1992 pour la publication) se trouve une photographie de Jacques Pavlovsky montrant le philosophe devant un tableau en 1978, au moment où il s’apprête à compléter un diagramme. L’impossibilité de localiser les sources afin de l’interpréter met ici en branle l’ensemble des opérations de transformation matérielles et conceptuelles au centre de As Yet Untitled. Sans posséder cette information, James échoue alors dans le registre qu’on lui assigne comme artiste, en tant que « sujet supposé savoir » garant de toute la signification.7 James se prête ensuite à une analyse systématique des textes écrits par le philosophe lorsqu’il élaborait le diagramme dans les locaux de l’école normale supérieure, Paris. À partir de ces recherches, il extrapole le contenu de la troisième exposition (Human Metal, Miguel Abreu gallery, New York. 22 octobre 2011 – 15 janvier 2012) avec la visée de forger un contexte pour l’image sans code.8 D’autres protagonistes émergent ici sous forme de portraits en buste qui charrient des épisodes du structuralisme emmêlé au passé colonial de la France et de l’Amérique du Nord.9 Une superposition spiralée du diagramme d’Althusser, virant au noir ou au blanc, cache le visage de chacun d’eux. Aux constellations référentielles ainsi constituées s’ajoutent des événements de la biographie de James allant des réprimandes subies par l’artiste en parlant anglais dans le patois gallois à l’école jusqu’au moment où il signe son contrat de professeur sur le campus de l’Université de la Colombie britannique en 2010.
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1Dans le communiqué émis par la galerie, l’exposition est décrite comme une collaboration entre Storm Van Helsing et James.
2http://artforum.com/diary/id=8967
3http://www.ahva.ubc.ca/facultyIntroDisplay.cfm?InstrID=234&FacultyID=2
4http://www.miguelabreugallery.com/GarethJames.html
5212-666-4466, 917-805-0882 et 212-864-0861, 2008.
6Althusser explique ainsi les conséquences de l’interpellation : « Toute formation sociale doit, en même temps qu’elle produit et pour pouvoir produire, reproduire les conditions de sa production ». Louis Althusser, Positions (1964-1975), Paris, Éditions Sociales, 1976, p. 68
7Ces références lacaniennes ont été utilisées par l’artiste dans la déclaration qui accompagnait l’exposition, ainsi que lors de conversations avec l’auteur.
8 Human Metal, Miguel Abreu Gallery, New York. 22 octobre 2011 – 15 janvier 2012.
9Entre 1907 et 1930, dans une série de publications intitulées The North American Indian, l’anthropologue américain Edward Curtis documente les peuples des premières nations américaines, y compris ceux d’entre eux vivant sur une partie du territoire occupé par la ville de Vancouver. Claude Lévi-Strauss consulte les planches de Curtis et fait un séjour d’étude en Colombie-Britannique pendant l’année 1973. Les œuvres issues de la série Untitled (2011) exposées ici comprennent les portraits « oblitérés » de Lévi-Strauss à l’époque où il écrivait Tristes Tropiques (1955), du général de Gaulle en 1942 (lorsqu’il s’exila en Angleterre) et enfin « The Cowichan Swathwe mask », une planche tirée de The North American Indian, vol. 9 (1913).
Impression à jet d’encre sur toile, clous
Avec le concours de l’artiste, MontréalJon Knowles, Right Foot, 2013
Peinture sur attelle
Avec le concours de l’artiste, MontréalAndrea Fraser, May I Help You?, 1991
Vidéo, 20 min 7 s
Performance présentée dans le cadre de l’exposition May I Help You? In Cooperation with Allan McCollum à la galerie American Fine Arts Co., New York, 12 janvier – 2 février 1991. Avec le concours de l’artiste, Los AngelesThérèse Mastroiacovo, One and Half Seater, 1999 (du corpus intitulé Politics of recognition, 1997-1999)
Bois, métal
Avec le concours de l’artiste, MontréalAndrea Fraser, Jeff Preiss, ORCHARD Document : May I Help You?, 1991/2005-6
16 mm. couleur, migré sur support HD Blu-Ray, 20 min.
Produit par ORCHARD et Epoch Films
Performance présentée dans le cadre de l’exposition Part One (Luis Camnitzer, Moyra Davey, Andrea Fraser, Gareth James, Nicolàs Guagnini, Louise Lawler, Allan McCollum, John Miller, Christian Philipp Müller, Jeff Preiss, R.H. Quaytman, Martha Rosler, Daniela Rossell, Jason Simon, Lawrence Weiner), 11 – 29 mai 2005. Les performances de Fraser ont eu lieu le 11, 15, 18 et 19 mai
Avec le concours des artistes, Los Angeles et New York
Andrea Fraser, It’s a Beautiful House, Isn’t It? (May I Help You?), 1991/2011
Vidéo, 17 min 25 s
Caméra et son : Mark Escribano. Performance présentée dans le cadre de l’exposition 91, 92, 93 (Andrea Fraser, Simon Leung et Lincoln Tobier), MAK center for Art and Architecture, Los Angeles, 12 mai – 31 juillet 2011
Avec le concours de l’artiste, Los Angeles« Or si la signature de Kelly fonctionne non pas comme la première ou la dernière articulation d’un sujet stable, constitué, en possession de lui-même, mais aussi en tant que seconde duplication du texte du procédé par lequel ce sujet est constitué, on ne peut la confondre avec une sémiotique de couverture de livre. »
Andrea Fraser, « On the Post-Partum Document », Afterimage (Mars 1986). Réimpression dans Mary Kelly, Post-partum document, Berkeley, Los Angeles : University of California Press, Vienne : Generali Foundation, 1999, p. 214-218.
Andrea Fraser est née à Billings, aux États-Unis. Entre 1984 et 1985, elle a fréquenté le Independent Study Program du Whitney Museum, New York. En 1991, elle a présenté la performance May I Help You? à la galerie American Fine Arts Co., en collaboration avec Allan McCollum.1 Ce dernier y montrait alors un échantillon de sa série des Surrogates constituée de moulages de plâtre en forme de tableaux monochromes. Extrait de l’introduction du script de la performance (1991) : « Les objets – qui ont des cadres dans des nuances de rouge, des passe-partout blancs et des centres noirs – sont accrochés pour former une ligne continue, cerclant trois murs de la galerie. Assis derrière un bureau, près du côté sud de l’un des murs de l’exposition se trouvent trois acteurs jouant le “personnel.” Ils sont absorbés dans ce qui semblerait être leur travail quotidien à la galerie, derrière un mur plâtré de trois pieds et demi. Un visiteur entre et se fraye un chemin vers le centre de la pièce. Au moment où il commence à regarder l’exposition, l’un des membres du personnel se dirige vers lui et l’interpelle : […] C’est une belle exposition non? […] Et ça, c’est une œuvre magnifique.”2 Dans un texte rédigé en 1992, Fraser a cité Colin de Land, directeur d’American Fine Arts Co. : « Nonobstant mon appétit ou mon goût, je peux me sentir confortable lorsqu’une chose que j’ai sélectionnée se trouve près d’une autre chose qui me semble complètement répugnante. »3 Après le décès de de Land et la fermeture de sa galerie, Fraser a co-fondé la coopérative Orchard, dont la durée de vie (2005-2008) fut prédéterminée par ses membres.4 Elle est professeure au département des beaux-arts de l’University of California Los Angeles.5 Andrea Fraser est représentée par la galerie Nagel Draxler, Cologne.6
En réalisant Post-partum document, Mary Kelly a synchronisé les théories de la subjectivation de Jacques Lacan avec son expérience quotidienne de la maternité et ainsi elle a déplacé leur autorité afin d’en faire un discours parmi d’autres discours. D’une façon semblable, Fraser transpose la méthode réflexive de Pierre Bourdieu au sein de sa pratique performative. Elle a rédigé un hommage au sociologue qui fut publié simultanément dans les revues October et Texte Zur Kunst pendant l’été de l’année 2002. Elle y a expliqué comment la lecture de l’ouvrage La distinction : critique sociale du jugement (1979 traduit vers l’anglais en 1984) a été formatrice au début de sa carrière : « La distinction a exposé l’expérience paralysante de l’illégitimité avec une clarté libératoire […]. Mais La distinction en tant que produit de la sociologie relationnelle et réflexive de Bourdieu m’a également empêché d’imaginer la domination symbolique comme une force qui existe quelque part, là-bas, en particulier dans des institutions, ou des individus, ou des formes culturelles, ou des pratiques éloignées de l’agent social que j’étais – malgré ma jeunesse de l’époque et l’impuissance que j’ai dû ressentir alors. »7 Dans la préface d’une anthologie de textes de Fraser, Bourdieu a reconnu quant à lui la valeur épistémologique de son travail : « Imaginez un prêtre, nonobstant son obédience, découvrant que ‘la religion est l’opium du peuple’ et qu’ainsi les « agents de la religion se battent pour disposer du droit exclusif de contrôler les bénéfices du sauvetage des âmes.’ Ce prêtre pourrait-il continuer à officier? Et si c’est le cas, comment? Il s’agit précisément de la place qu’Andrea Fraser a consciemment et délibérément occupée.”8 Certains témoignages recueillis par Bourdieu dans La distinction pour produire l’analyse de la logique d’inclusion et d’exclusion du champ culturel ont été intégrés au script de la performance May I Help You? (1991).9 Ce texte dit par des acteurs (et parfois Fraser) se découpe en six parties, chacune constituée d’extraits d’entretiens dans lesquels des individus discutent de leurs liens affectifs avec des œuvres et des objets qu’ils possèdent ou ne possèdent pas. Bien que suturés par le continuum de la performance, ces énoncés perdent leur point d’ancrage dans la voix du sujet qui les répète. Le spectateur peut momentanément s’identifier à l’interprète parlant au nom de l’exclu ou alternativement, il peut se trouver gommé par ce même sujet représentant ensuite un membre de l’élite. Fraser explique ce procédé d’oscillation polyphonique : “Avec chacune des voix, l’acteur articule son rapport particulier aux œuvres quasi identiques (de McCollum), prenant sa place tout en niant celles des voix qui précèdent et succèdent la sienne. ”10 Le script de May I Help You? a été mis à jour pour chacune des circonstances où Fraser a refait la performance.11 Fruit d’une collaboration avec le cinéaste Jeffrey Preiss, Orchard Document (May I Help You?), 2005, évoque, entre autres, le déplacement d’une communauté d’affinités électives (dans laquelle Fraser était participante) de la galerie American Fine Arts Co. vers Orchard.12 Pour 91, 92, 93 (2011), Fraser a réitéré la performance sous le titre It’s a Beautiful House, Isn’t It? Trois artistes (Fraser, Simon Leung et Lincoln Tobier) ont été invités à réactualiser une œuvre de la première portion des années 1990 afin d’évaluer les paradigmes critiques de cette période qu’ils avaient contribué à façonner. L’exposition a eu lieu au MAK Center for Art and Architecture, à Los Angeles. Le script de May I Help You? a été adapté au nouveau site (une maison conçue par Rudolph Schindler dans laquelle se trouve le centre) pour y interpoler des allusions à la spéculation immobilière. En 2013, lors de sa rétrospective au Musée Ludwig, Fraser a bouclé la boucle en réinterprétant la pièce avec les Surrogates de McCollum.13
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1Fraser a écrit un texte sur McCollum qui sera publié dans le catalogue d’une exposition de l’artiste à l’Institute of Contemporary Art, Philadelphie, juin 1986. Il a été réimprimé dans l’anthologie des textes de Fraser sous le titre « ‘Creativity = Capital’? », Andrea Fraser, Museum Highlights: The Writings of Andrea Fraser, sous la direction d’Alexander Alberro, Cambridge, MIT Press, 2005, p. 28-44.
2May I Help You? In Cooperation with Allan McCollum, American Fine Arts, Co., 40 Wooster Street, New York, 12 janvier – 2 février, 1991. Script de la performance. Il s’agit de la première version du texte. Une version subséquente (« May I Help You?, 1991/2013 »), a été publiée dans Andrea Fraser, Texte, Skripte, Transkripte/Texts, Scripts, Transcripts, sous la direction de Carla Gugini, Cologne, Buchhandlung Walther König, 2013, p. 21-29.
3Andrea Fraser, « Another Kind of Pragmatism », dans Dealing With – Some Texts, Images and Thoughts Related to American Fine Arts Co., Berlin, Sternberg Press, 2012, p. 34-38. Publié initialement dans Forum International, no 11 (janvier/février 1992), p. 64-67.
4http://orchard47.org/testshow.php?name=Part%20One
5http://www.art.ucla.edu/faculty/fraser.html
6http://nagel-draxler.de/artists/andrea-fraser/
7Andrea Fraser, « ‘To quote,’ say the kabyles, ‘is to bring back to life’, » dans Andrea Fraser, Museum Highlights: The Writings of Andrea Fraser, p. 80-87. Notre traduction.
8Pierre Bourdieu, « Foreword : Revolution and Revelation » dans Andrea Fraser, Museum Highlights: The Writings of Andrea Fraser, p. xiv, xv. Notre traduction.
9Il s’agit d’entretiens réalisés par Bourdieu et son équipe en 1974 et insérés sous forme d’encarts au sein de l’ouvrage. Fraser cite, entre autres celui-ci: « Un grand bourgeois ‘unique en son genre’. S., avocat, âgé de 45 ans, est fils d’avocats et appartient à une famille de la grande bourgeoisie parisienne […] », Pierre Bourdieu, La distinction : critique sociale du jugement, Paris, Les éditions de Minuit, 1979, p. 310.
10Andrea Fraser, Description de la performance, dans « ‘Creativity = Capital’? », Andrea Fraser, Museum Highlights: The Writings of Andrea Fraser, p. 34. Notre traduction.
11La performance est ainsi réactualisée au sein de toutes les périodes distinctes qui marquent le parcours de Fraser. Au milieu des années 1990, l’artiste a tenté de circonscrire sa pratique comme une offre de service contractuelle. À partir du début de la décennie suivante, elle a néanmoins abandonné ce modèle.
12http://artforum.com/diary/id=8967
13Outre ces quatre occurrences, la performance a également été interprétée par Fraser en octobre 1991, lors de Art Cologne, dans le kiosque de la Galerie Christian Nagel.