Regroupant les artistes Alain Benoit, Louis Fortier, Myriam Laplante et Claude Perreault, ce projet du commissaire artiste Mathieu Beauséjour veut porter atteinte aux idées reçues et faire passer l’idée de la tête au ventre. L’exposition propose une plongée dans le grotesque et le carnavalesque où l’excès et le renversement des rôles sociaux prennent toute leur place.
COMMENTAIRE DU COMMISSAIRE
La tête au ventre est donc un prétexte pour faire la fête, une fête pas trop organisée, un peu bordélique, guidée par des esprits vifs et des réflexions excentriques. C’est aussi la fête de notre chair – de notre viande – qui s’installe au milieu des œuvres d’art, pour être parmi elles, pour les regarder d’égal à égal, pour s’y reconnaître. En rabaissant notre pensée à notre ventre, en riant non pas d’elle, mais avec elle, je souhaite dégager ce qu’il y a de profondément charnel dans notre rapport à l’autre. Des corps comme enveloppes qui se parodient, se travestissent, se masquent pour faire éclore la monstration d’une attitude, d’une façon de penser l’art, d’une façon de faire qui s’inscrit par le plaisir dans une matérialisation qui va vers le corps, vers la terre, et par le rire. Send in the clowns.
– Mathieu Beauséjour, commissaire
Commissaire : Mathieu Beauséjour
Une production de la Galerie Leonard & Bina Ellen
Les Artistes
Intéressé dès les débuts de sa pratique par les thèmes rabelaisiens du grotesque, de l’excès et du carnaval, Alain Benoit a élaboré depuis les cinq dernières années un corpus d’œuvres gravitant autour du corps d’un modèle obèse nommé Louis Cormier. À partir ce modèle vivant digne de Pantagruel, Alain Benoit cherche à remettre en question la tradition de la statuaire monumentale tout en interrogant les notions de norme, de règle, de bonnes manières et d’ordre social. Le caractère irrévérencieux de ses sculptures, de ses vidéos et de ses installations provoque un sentiment d’ambivalence chez le spectateur qui se retrouve à la limite du tragique et du burlesque. Alain Benoit vit à Montréal.
LES ŒUVRES
Étalon, 2003.
Étalon est une sculpture en uréthane qui représente un homme obèse nu. Ce matériau noir qui absorbe la lumière confère à l’œuvre une présence sourde et une lourdeur répondant aux débordements de chairs et aux disproportions du modèle. Le titre de l’œuvre fait référence à l’étalon de la sculpture antique qu’Alain Benoit cherche à repenser selon de nouveaux critères.
Pâte-molle 2 / sculpture hippothétique, 2005.
Sculpture hippothétique est une œuvre vidéo réalisée à partir d’une modélisation numérique. La séquence vidéo projetée en boucle montre le même modèle masculin reproduisant à quatre pattes les mouvements du cheval au galop. Selon l’artiste, cet étrange amalgame entre l’homme et le cheval est une version contemporaine de la sculpture équestre traditionnelle.
What’s the Ugliest Part of Your Body?, 2001.
Un petit pavillon tapissé de miroirs déformants qui rappelle ceux que l’on retrouve dans les fêtes foraines renvoie au spectateur qui y pénètre une image distordue de son corps. Le spectateur est ainsi confronté à une modification, à un morcellement et à une multiplication de son être et de son identité propre.
EXPLOREZ
- Le rapport au corps, à la chair, aux sens.
- Les notions d’excès, de disproportion, de démesure, de densité.
- L’homme obèse comme personnification et glorification du thème du grotesque.
- La parodie des canons de la tradition sculpturale.
QUELQUES QUESTIONS
- De quelle façon les œuvres d’Alain Benoit nous ramènent-elles à notre corporalité ? Comment nous font-elles prendre conscience de notre corps?
- Les œuvres d’Alain Benoit plongent souvent le spectateur dans un état dualiste entre le rire et le malaise provoquant ainsi le rire jaune. Pourquoi? Qu’est-ce qui provoque cet effet selon vous?
- Dans l’installation What’s the Ugliest Part of Your Body?, le spectateur a un rôle actif à jouer. Il n’est plus seulement impliqué visuellement, intellectuellement ou émotionnellement, mais il doit également expérimenter l’œuvre physiquement. En quoi cet investissement physique conditionne-t-il notre réception de l’œuvre?
POUR DE PLUS AMPLES RENSEIGNEMENTS
BEAUSÉJOUR, Mathieu (dir.), La tête au ventre, Montréal, Galerie Leonard & Bina Ellen, 2007.
MOLIN-VASSEUR, Annie, « Proximité obligatoire (entretien avec Alain Benoit) », ETC Montréal, juin 2003, p. 23-28.
Alain Benoit, l’antihéros charnel contre les héros acharnés (prise 2), Thiers, Le Creux de l’enfer, 2002.
BOUGLÉ, Frédéric, « L’antihéros charnel contre le héros acharné. De l’utopique au grotesque (entretien avec Alain Benoit) », Art présence, n° 28, 1998, p. 2-27.
FermerEssentiellement orienté vers la sculpture, Louis Fortier travaille depuis une dizaine d’années sur son motif de prédilection: la tête. La multiplication, l’accumulation et la répétition inlassable et prodigue de ce même fragment d’anatomie révèlent le caractère obsessionnel et toute la démesure de sa démarche. Cette multitude de têtes en cire ou en plâtre moulées à partir de celle de l’artiste sont manipulées, modifiées, déformées, triturées avant de prendre leurs formes définitives lors de la saisie de la matière. Soulevant des questions d’identité mais aussi de manipulation génétique et de clonage, les œuvres de Louis Fortier sont également des métaphores temporelles qui nous parlent du travail de l’artiste en atelier, de la manipulation de la matière et de ses possibles accidents.
LES ŒUVRES
Déroutes quotidiennes (programme long, dit de la reconstruction)
Avatars, angles, moules et fuites, 2007.
L’installation Déroute quotidienne regroupe environ 200 fragments anatomiques moulés en cire et en plâtre à partir de la tête de l’artiste. Certaines pièces sont disséminées par petits groupes sur trois pans de murs alors que d’autres sont placées sur une plateforme à quatre paliers. Cet ensemble sculptural donne à voir différentes formes biomorphiques allant du rendu illusionniste au monstre, de la caricature à l’informe. L’agencement de toutes ces pièces sculptées offre divers points de vue sur les distorsions pratiquées par l’artiste sur le moulage de sa propre tête.
La répétition (Chant des possibles : mars 2005, août 2006, mai 2007, janvier 2008…), 2005.
Conçue sous le mode du calendrier, La répétition est un agencement de 31 têtes en cire microcrystalline disposées sur des cases numérotées. Chacune des têtes présente une expression faciale différente, inventoriant de la sorte divers jeux de physionomie possibles d’un même visage sur une base journalière.
La correction. Une méthode pour saisir une notion d’éternité en vingt secondes, 2005.
La correction présente une série de 20 têtes de profil en cire microcrystalline placées en file les unes à la suite des autres dans la vitrine avant de la Galerie. Ces faciès écrasés explorent encore une fois le caractère insaisissable de l’identité et de l’altérité.
EXPLOREZ
- La coexistence de la fascination et de la répulsion, du beau et de l’abject.
- Les multiples variations apportées à un motif unique.
- Les notions de quantité, d’abondance, de démultiplication, de manipulation, de moule, de clonage.
- Les notions de hasard et d’imprévisibilité.
- La prégnance de la matière. Le caractère organique et charnel de la cire.
QUELQUES QUESTIONS
- Les têtes de Louis Fortier sont réalisées en cire. Selon vous, l’installation produirait-elle le même effet si elles étaient en plâtre, en marbre ou en bronze? En quoi le matériau utilisé par l’artiste détermine-t-il notre expérience de l’œuvre?
- Le motif de la tête est traditionnellement associé à la raison et à l’intellect, or les pièces sculptées de Louis Fortier font davantage appel aux sens et s’imposent comme une métonymie du corps. Pourquoi?
- Le fait que toutes les sculptures de Louis Fortier aient pour origine le moulage de la tête de l’artiste modifie-t-il votre interprétation de l’œuvre? Quelles questions cette particularité soulève-t-elle selon vous?
POUR DE PLUS AMPLES RENSEIGNEMENTS
BEAUSÉJOUR, Mathieu (dir.), La tête au ventre, Montréal, Galerie Leonard & Bina Ellen, 2007.
LATENDRESSE, Sylvain, « Louis Fortier, artiste polycéphale », ETC Montréal, n° 54, été 2001, p. 57-60.
PELLETIER, Sonia, « L’intensité du même », Louis Fortier. Transfert interrompu!, Longueuil, Plein Sud, 2001.
CORMIER, François, « Clones » (entretien avec Louis Fortier), Cahier de la Galerie B-312, n° 36, 1999.
GILBERT, Jean-Pierre, « Se faire une tête, essai de génétique appliquée », Bulletin de la Chambre Blanche, n° 23, automne 1999, p. 37-38.
FermerArtiste multidisciplinaire, Myriam Laplante crée avec un certain cynisme des œuvres empreintes de fantaisie parodiant l’univers du conte de fée, du carnaval, de la foire et du cirque. Ses installations, ses photographies et ses objets tracent un portrait décapant de la réalité quotidienne par le truchement d’un monde imaginaire et fantastique. Amorcée au début des années 1990, sa pratique de la performance allie les jeux de rôles à des mises en scènes caricaturales et grotesques qui mettent l’emphase sur le corps, sur l’identité et l’altérité, sur le contrôle et l’excès. Myriam Laplante vit à Benvagna en Italie.
LES ŒUVRES
Elixir, 2004.
À mi-chemin entre l’officine de l’alchimiste, le laboratoire de Frankenstein et le cabinet des horreurs, l’installation de Myriam Laplante rassemble divers béchers et alambics qui nourrissent différents organismes d’un élixir magique, sorte de sérum de vie provoquant d’étranges résultats. Les êtres assujettis aux modifications génétiques de Laplante sont en effet des monstres disparates aux fragments de corps animaux et humains, aux membres atrophiés, surdimensionnés ou multiples. Plusieurs de ces spécimens sont présentés sous des cloches en verre alors que d’autres sont soumis au processus d’expérimentation.
EXPLOREZ
- Les notions d’illusion, de fantastique, de parodie, de dérision, de cynisme, de folie.
- Les notions d’utopies scientifiques et artistiques.
- La question des manipulations génétiques et des expérimentations biotechnologiques.
QUELQUES QUESTIONS
- Avec ses cobayes et ses fioles remplies d’un étrange liquide, Elixir parodie l’univers du laboratoire de science. Selon vous, quels liens peut-on établir entre le processus de création artistique et les expériences scientifiques?
- L’installation de Myriam Laplante nous montre des corps altérés, des êtres modifiés. Êtes-vous préoccupés par les expérimentations génétiques? De quelle façon l’œuvre de Myriam Laplante nous invite-elle à réfléchir à cette question?
POUR DE PLUS AMPLES RENSEIGNEMENTS
BEAUSÉJOUR, Mathieu (dir.), La tête au ventre, Montréal, Galerie Leonard & Bina Ellen, 2007.
MACRI, Teresa et Lorenzo BENEDETTI, Myriam Laplante. Elisir, Rome, Fondazione Volume!, The Gallery Apart, 2006.
DÉRY, Louise, La Parodie du monde selon Myriam Laplante, Montréal, Galerie de l’UQAM, 2002.
FermerDepuis la fin des années 1980, Claude Perreault crée des assemblages et des collages qui explorent sous le mode de la parodie la société consumériste et l’univers médiatique. Composées d’images glanées à diverses revues pornographiques et de babioles dénichées dans les magasins à prix unique, les œuvres de Claude Perreault reproduisent avec un illusionnisme impressionnant certaines personnalités cultes du star system ainsi que des objets fétiches de consommation. Son travail se nourrit également de l’iconographie religieuse et de l’esthétique baroque qui donnent ironiquement à ses œuvres un caractère sacré et ostentatoire. Claude Perreault réside à Montréal.
LES ŒUVRES
Bette, 2006; Cate, 2006; Judi, 2005; Quentin, 2006.
Représentant les stars Bette Davis, Judi Dench, Quentin Crisp et Cate Blanchett ayant tous personnifié la reine Elizabeth 1ère d’Angleterre au cinéma, les quatre collages de Claude Perreault font également écho à l’iconographie des portraits canoniques de l’histoire de l’art. Des bouts de corps, des morceaux de chairs, des fragments d’organes sexuels provenant de revues pornographiques sont fastidieusement assemblés pour composer ces collages hyperréalistes provoquant ainsi un étrange et grotesque transfert de sens.
EXPLOREZ
- Les affinités entre le voyeurisme médiatique et pornographique.
- L’ambiguïté entre et la fascination suscitée par les détails et la répulsion provoquée par la reconnaissance de ces mêmes détails anatomiques et charnels.
- La réflexion sur les codes de représentation du star-system et les conventions picturales du portrait dans l’histoire de l’art.
- Les notions d’abondance, de saturation, de foisonnement, de trop plein.
QUELQUES QUESTIONS
- L’examen minutieux et attentif des somptueux collages de Claude Perreault nous révèle des détails grotesques et crus venant momentanément rompre le faste général des œuvres. Quels effets produit cette double lecture, ce double sens?
- Les œuvres de Claude Perreault invitent un regard rapproché et scrutateur. Cette relation de proximité modifie-t-elle votre rapport habituel aux œuvres d’art? Pourquoi?
- Selon vous, en quoi la curiosité et l’appétit démesuré pour les figures populaires de l’univers médiatique peuvent-ils s’apparenter à l’attraction et à l’obsession sexuelle et pornographique?
POUR DE PLUS AMPLES RENSEIGNEMENTS
BEAUSÉJOUR, Mathieu (dir.), La tête au ventre, Montréal, Galerie Leonard & Bina Ellen, 2007.
ST-LAURENT, Stefan, « An Interview with Claude Perreault », Mix, vol. 24, n° 4, printemps 1999, p. 30-37.
MARCHAND, Keith, « Pornography and plastic », Montreal Mirror, 11-18 décembre 1997. www.montrealmirror.com
FermerPOUR DE PLUS AMPLES RENSEIGNEMENTS
Publication
BEAUSÉJOUR, Mathieu (dir.), La tête au ventre, Montréal, Galerie Leonard & Bina Ellen, 2007.
Bibliographie Sélective
BAKHTINE, Mikhaïl, L’œuvre de François Rabelais et la culture populaire au Moyen Âge et sous la Renaissance, Paris, Gallimard, 1970.
DUBÉ, Peter, « L’association des serpents et des oiseaux, des tigres et des moutons : sur le passage d’un mot et d’une idée dans une culture » dans La tête au ventre, Montréal, Galerie Leonard & Bina Ellen, 2007.
IEHL, Dominique, Le grotesque, Paris, Presses universitaires de France, 1997.
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