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SIGHTINGS 2022-2025
SEE FEVER

Inauguré en 2012 à l’occasion du 50e anniversaire de la collection permanente de la Galerie Leonard & Bina Ellen, le programme d’expositions satellites SIGHTINGS a été conçu comme une plateforme d’expérimentation et de réflexion critique afin de questionner les possibilités et les limites de l’espace du « cube blanc » moderniste. Ce programme est associé à un module de présentation cubique situé dans un espace public de l’université que des artistes et des commissaires sont invité·e·s à investir en proposant de nouvelles stratégies de monstration artistique.

Cet automne, la Galerie lance un cycle pluriannuel axé sur la thématique SEE FEVER. L’expression renvoie au désir fiévreux de « tout voir », à l’attrait pour les stratégies visant à voir « plus » ou « plus loin » et les contextes offrant un champ de vision élargi et déstabilisant nos mécanismes perceptifs. En écho à cette thématique, le cube SIGHTINGS est appréhendé comme une plateforme d’observation surélevée dont les quatre parois transparentes permettent une vue à angle de 360 degrés. Ainsi, les projets de la programmation s’intéresseront à l’expérience perceptive et psychique du sujet regardant qui dispose d’une vue à grand angle, à la quête de la vue panoramique et de l’horizon fuyant, et aux dispositifs et appareils d’optique permettant d’augmenter, d’améliorer et de désorienter la logique spatiale de la vision.

SIGHTINGS est situé au rez-de-chaussée du Pavillon Hall : 1455, boul. De Maisonneuve Ouest, et est accessible tous les jours de 7 h à 23 h. Le programme est élaboré par Julia Eilers Smith.

SIGHTINGS 43
Never Was a Man
Vue de l’installation Sightings 43 : Never Was A Man, un projet de Swapnaa Tamhane, Montréal, 2025. Avec l’aimable concours de la Galerie Leonard & Bina Ellen. Photo: Jean-Michael Seminaro
Vue de l’installation Sightings 43 : Never Was A Man, un projet de Swapnaa Tamhane, Montréal, 2025. Avec l’aimable concours de la Galerie Leonard & Bina Ellen. Photo: Jean-Michael Seminaro
Vue de l’installation Sightings 43 : Never Was A Man, un projet de Swapnaa Tamhane, Montréal, 2025. Avec l’aimable concours de la Galerie Leonard & Bina Ellen. Photo: Jean-Michael Seminaro
Vue de l’installation Sightings 43 : Never Was A Man, un projet de Swapnaa Tamhane, Montréal, 2025. Avec l’aimable concours de la Galerie Leonard & Bina Ellen. Photo: Jean-Michael Seminaro
Vue de l’installation Sightings 43 : Never Was A Man, un projet de Swapnaa Tamhane, Montréal, 2025. Avec l’aimable concours de la Galerie Leonard & Bina Ellen. Photo: Jean-Michael Seminaro
Vue de l’installation Sightings 43 : Never Was A Man, un projet de Swapnaa Tamhane, Montréal, 2025. Avec l’aimable concours de la Galerie Leonard & Bina Ellen. Photo: Jean-Michael Seminaro
Vue de l’installation Sightings 43 : Never Was A Man, un projet de Swapnaa Tamhane, Montréal, 2025. Avec l’aimable concours de la Galerie Leonard & Bina Ellen. Photo: Jean-Michael Seminaro
Vue de l’installation Sightings 43 : Never Was A Man, un projet de Swapnaa Tamhane, Montréal, 2025. Avec l’aimable concours de la Galerie Leonard & Bina Ellen. Photo: Jean-Michael Seminaro
Vue de l’installation Sightings 43 : Never Was A Man, un projet de Swapnaa Tamhane, Montréal, 2025. Avec l’aimable concours de la Galerie Leonard & Bina Ellen. Photo: Jean-Michael Seminaro
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Du 24 février au 18 mai 2025

Un projet de Swapnaa Tamhane

La pratique de Swapnaa Tamhane est dédiée aux histoires matérielles du coton et du jute, ce qui l’a amenée à fabriquer du papier, à dépouiller des archives et à concevoir des installations textiles. Elle travaille en étroite collaboration avec des artisan·es du district de Kachchh, dans l’État du Gujarat, en Inde, dans une démarche de partage des savoirs. Tamhane détient une maîtrise en Fibres et pratiques matérielles de l’Université Concordia, à Montréal. Elle a exposé son travail chez Nature Morte, à Delhi ; chez articule, à Montréal ; au Sculpture Park de Jaipur ; à la Green Art Gallery de Dubaï ; au Victoria & Albert Museum, à Dundee, en Écosse ; et, en solo, au Royal Ontario Museum, à Toronto, et à la Surrey Art Gallery, à Surrey. Deux expositions sont à venir : l’une au Mead Art Museum, à Amherst, au Massachusetts ; l’autre au Fowler Museum à UCLA, à Los Angeles.

L’artiste tient à remercier Salemamad Khatri, Abdulaziz Khatri, Aman Sandhu, Julia Eilers Smith et Pip Day.

Teinture naturelle et synthétique sur coton industriel, miroirs sur tiges en acier Xylographie et teinture réalisées par Salemamad Khatri
Taille de blocs par Pragnesh Prajapati
87 ½ × 52 pouces respectivement
Avec la collaboration de Madison Strižić et Hannah Ferguson

 

Avertissement : Ce texte aborde le sujet du suicide.

 

Je me rappelle la première fois que j’ai lu ces mots.

Ils ne m’ont plus jamais quittée.

Des mots écrits dans une lettre.

Ceux de Rohith Vemula.

C’était sa lettre d’adieu.

Un doctorant à l’Université de Hyderabad.

Il s’est enlevé la vie le 17 janvier 2016.

Il a écrit :

« La valeur d’un homme a été réduite à son identité immédiate et à son potentiel le plus restreint. Il n’est plus qu’un vote. Un chiffre. Une chose. Jamais l’homme n’a été traité comme un esprit. Un être glorieux fait de poussière d’étoiles. Dans tous les domaines, dans ses études, dans la rue, en politique, dans la vie comme dans la mort. »

Envers et contre tous, Rohith était conscient de son humanité, de sa valeur inestimable, malgré l’image que lui renvoyaient le système et la société.

Dans sa lettre, il déclare : « Ma naissance est ma fatalité. »

Rohith étudiait la sociologie. À la base, il s’était inscrit en biotechnologies, mais il s’est tourné vers les sciences sociales en raison de sa passion pour les enjeux de société.

Des enjeux qu’il saisissait mieux que bien d’autres.

Car Rohith était dalit.

Ses mots perdurent en moi.

Ils perdurent en nous tous.

Ses paroles ont provoqué des manifestations étudiantes partout en Inde. Elles ont levé le voile sur la discrimination basée sur la caste qui s’immisce sur les campus universitaires et s’attaque aux étudiant·e·s issu·e·s de communautés marginalisées.

Une discrimination qui est au fondement même de l’hindouisme.

Dans les universités publiques indiennes, il y a un système de réservations conçu pour donner aux Dalit·e·s, aux castes répertoriées et autres classes défavorisées (OBC) – aussi connu·e·s sous le nom de bahujan (la majorité) – un accès à l’éducation supérieure. Souvent, ces étudiant·e·s proviennent de milieux ruraux, agricoles, et parlent peu l’anglais. Une fois à l’université, ils et elles se retrouvent aux côtés d’étudiant·e·s issu·e·s de castes favorisées et avec des professeur·e·s appartenant à ces mêmes castes privilégiées, qui donnent leurs cours et font lire des textes exclusivement en anglais.

La discrimination de caste à laquelle font face ces étudiant·e·s se manifeste tantôt de manière évidente, tantôt de façon subtile. Il peut arriver par exemple que leurs versements de bourses soient retardés. Ou alors, lorsqu’ils et elles tentent d’aborder la réalité associée à leur caste, certain·e·s professeur·e·s refusent tout bonnement de les entendre. Sans parler de la cafétéria…

La tache de la réservation.

C’est ainsi qu’on la désigne.

Rohith était un doctorant de première génération.

C’était un lecteur vorace de littérature dalite.

Il voulait devenir un écrivain comme Carl Sagan, nous apprend-il dans sa lettre.

Le document « States and Minorities », signé par le DR Bhimrao R. Ambedkar, président de la commission chargée de rédiger la Constitution indienne entrée en vigueur le 26 janvier 1950, comprenait des articles visant à protéger les castes répertoriées (qu’il appelait « Intouchables » et que l’on appelle aujourd’hui Dalit·e·s). Il décrétait notamment l’abolition de la notion d’intouchabilité, la sanction légale de tout acte de discrimination de caste et l’introduction des réservations. Si le système des réservations met de côté 15 % des inscriptions universitaires à l’intention des Dalit·e·s, l’éducation que ces étudiant·e·s reçoivent ne mène généralement pas à des carrières en recherche ni à des postes prestigieux.

Avant le suicide de Rohith, neuf autres étudiant·e·s dalit·e·s de la même université s’étaient déjà enlevé la vie.

Rohith s’est pendu avec une banderole à l’effigie de l’association étudiante Ambedkar Students’ Association (ASA), à laquelle il appartenait. L’association a été fondée en 1993 par des étudiant·e·s dalit·e·s afin de militer pour leur visibilité sur les campus et contre les groupes fondamentalistes hindous de droite.

La banderole était bleue.

Bleue comme le costume du DR Ambedkar.

Bleue comme le drapeau du mouvement dalit.

Bleue comme l’indigo.

Rohith, avec quatre autres doctorants appartenant à l’ASA, avait été suspendu par le recteur, car un étudiant les avait accusés de l’avoir attaqué.

Dans les faits, l’étudiant souffrait simplement d’une appendicite.

Celui-ci était membre de l’Akhil Bharatiya Vidyarthi Parishad (ABVP), l’aile étudiante du Bharatiya Janata Party (BJP), un parti pro-Hindutva. Notons que l’ASA, elle, n’est affiliée à aucun parti politique.

En Inde, les recteur·trice·s d’université sont nommé·e·s par les partis, et ceux-ci sont donc présents sur les campus – du Congrès national indien au BJP (qui a conservé la majorité de 2014 jusqu’à l’élection de 2024 qui lui a fait perdre des sièges). Le gouvernement indien a insisté pour que l’université sévisse contre Rohith et ses camarades après l’accusation d’agression.

Leurs bourses ont été suspendues, et ils ont été bannis des lieux publics, de même que de certains lieux privés comme leurs résidences et les bâtiments administratifs.

Après avoir été contraint à passer la nuit dehors, dans ce qu’il appelle le Velivada (le ghetto dalit), Rohith a écrit une lettre au recteur Appa Rao Podile, le 18 décembre 2015. Il y avance que l’université devrait fournir du poison aux Dalit·e·s au moment de leur admission, de même que des cordes dans chacune de leurs chambres.

Sa colère était manifeste.

Moins d’un mois plus tard, il s’est pendu.

Pas avec une corde, mais avec la banderole de l’ASA.

Dans la chambre de résidence de son ami.

La chambre 207.

Sur les murs jaunes de celle-ci, plusieurs images représentant Ambedkar et Bouddha étaient accrochées au-dessus de la fenêtre, près du plafond.

Bien visibles à partir du ventilateur sur lequel Rohith a suspendu la banderole.

Peut-être que leur vue lui a apporté un certain réconfort.

_______

Le contenu de sa lettre s’est répandu comme une traînée de poudre.

Son message est devenu viral.

Les manifestations étudiantes ont éclaté à 7 h 30, le 18 janvier.

Des grèves de la faim.

« Kadilindi Dalita Dandu… Khabardar, Khabardar » (Le mouvement dalit est né… prenez garde, prenez garde.)

On exigeait la démission du recteur.

La mère de Rohith se trouvait à la tête des manifestations.

Le suicide a fait l’objet de discussions sur plusieurs jours dans les deux chambres du parlement.

C’était un moment historique.

L’université tentait de se dédouaner de la mort de Rohith en prétextant qu’il n’était pas dalit.

Elle maintient sa position à ce jour, neuf ans après sa mort.

_______

Les paroles de Rohith ne m’ont jamais quittée.

Je voulais qu’on les répète inlassablement, jusqu’à plus soif… Imprimées sur le tissu en tant qu’estampes directes, estampes fantômes, traces, résidus, pressées encore et encore.

Le martèlement sourd du bloc de bois.

Les toiles de coton avalent tout.

Elles absorbent l’information.

Le tissu est sans valeur. Il est l’invisible.

Il porte les paroles d’un être qui a été lui aussi réduit à l’invisibilité.

 

Traduit par Luba Markovskaia

 

Si vous ou quelqu’un que vous connaissez est en situation de crise ou a des pensées suicidaires, sachez que de l’aide est disponible en tout temps. Appelez ou textez le 9-8-8 partout au Canada, ou le 1-866-APPELLE (1-866-277-3553) au Québec pour joindre une ligne d’aide en cas de crise suicidaire. Un·e intervenant·e en prévention du suicide est là pour vous, 24 h sur 24, 7 jours sur 7.

La pratique de Swapnaa Tamhane est dédiée aux histoires matérielles du coton et du jute, ce qui l’a amenée à fabriquer du papier, à dépouiller des archives et à concevoir des installations textiles. Elle travaille en étroite collaboration avec des artisan·es du district de Kachchh, dans l’État du Gujarat, en Inde, dans une démarche de partage des savoirs. Tamhane détient une maîtrise en Fibres et pratiques matérielles de l’Université Concordia, à Montréal. Elle a exposé son travail chez Nature Morte, à Delhi ; chez articule, à Montréal ; au Sculpture Park de Jaipur ; à la Green Art Gallery de Dubaï ; au Victoria & Albert Museum, à Dundee, en Écosse ; et, en solo, au Royal Ontario Museum, à Toronto, et à la Surrey Art Gallery, à Surrey. Deux expositions sont à venir : l’une au Mead Art Museum, à Amherst, au Massachusetts ; l’autre au Fowler Museum à UCLA, à Los Angeles.

L’artiste tient à remercier Salemamad Khatri, Abdulaziz Khatri, Aman Sandhu, Julia Eilers Smith et Pip Day.