SIGHTINGS est un programme d’expositions satellites conçu par la Galerie Leonard & Bina Ellen pour réfléchir à notre compréhension de l’espace d’exposition et de la présentation des œuvres. Ce projet fait écho à quatre essais phares écrits par Brian O’Doherty entre 1976 et 1981 – regroupés sous le titre White Cube. L’espace de la galerie et son idéologie (traduction française, 2008) –, où l’auteur et artiste irlandais théorise certains enjeux liés à une conception de l’espace d’exposition moderniste. Une conception de l’espace qu’il qualifie de « cube blanc » neutre et adaptable, et qui est pérenne puisqu’elle définit un grand nombre de galeries actuelles. SIGHTINGS a été mis en œuvre pour souligner la persistance et la fausse neutralité du cube blanc, et créer une plate-forme d’expérimentation pour que des artistes et commissaires invités génèrent de nouvelles stratégies de mise en espace et évaluent les limites de l’adaptabilité d’un véritable cube blanc.
Un premier cycle diffusait des projets réalisés par des étudiants de la Faculté des beaux-arts. Un deuxième cycle, en cours, présente des projets réalisés par des artistes et commissaires de la communauté artistique élargie.
SIGHTINGS est situé au rez-de-chaussée du Pavillon Hall au 1455 boul. de Maisonneuve Ouest.
30 octobre 2014 au 25 janvier 2015
Une installation de Myriam Yates
Le programme d’expositions satellites Sightings fut conçu pour inviter artistes et intervenants en arts visuels à réfléchir sur les enjeux liés au cube blanc en tant que conception de l’espace d’exposition moderniste. Le pavillon Henry F. Hall de l’Université Concordia où se situe le dispositif d’expositions satellites a été construit dans les années 1960 dans un style moderne, cubique, arborant une enveloppe architecturale raffinée composée de modules de béton préfabriqués. À l’époque de sa construction (1964-1966), le nouveau bâtiment de la Sir George Williams University (renommée Université Concordia en 1974) devait abriter tout ce qu’une université devait offrir : les installations nécessaires aux facultés, des bureaux, des salles de classe, des auditoriums, des laboratoires, des bibliothèques, un espace d’exposition, un théâtre, un garage et une zone publique, celle où Sightings est installé1.
Sightings (qui se traduirait ici par « observations » ou « repérages ») est un dispositif d’exposition cubique, transparent, placé dans le hall d’entrée du pavillon où transitent étudiants, professeurs, personnel de soutien, invités. Autour du cube, plusieurs éléments permettent la circulation : quatre portes tourniquets font la transition entre l’extérieur et l’intérieur du bâtiment. Une rangée de colonnes longent et soutiennent le hall d’entrée surplombé par une mezzanine. Une des extrémités du hall comporte une série de bustes de bronze ainsi qu’une œuvre commémorative d’Edouardo Aquino, Johanne Sloan et Kathryn Walter composée de tables de granite, de blocs de ciment, d’une structure lumineuse et d’un arbre dans un contenant. À l’autre extrémité, des escaliers descendent dans un labyrinthe souterrain et, face au cube, un large escalier, doublé d’escalateurs, monte à l’étage. Ces escaliers mécaniques constituèrent d’ailleurs un des attraits modernes mis en valeur à l’inauguration du bâtiment. Une baie vitrée compose la façade du rez-de-chaussée et affiche le texte de l’article 26 de la Déclaration des droits de l’homme, en plusieurs langues, qui traite du droit à l’éducation. Fréquemment, près du cube, quelques personnes en attendent d’autres, appuyées sur le réceptacle cubique blanc contenant un arbre d’intérieur. Cet arbre fait également partie de l’œuvre commémorative située à l’autre extrémité.
Lire la suiteLors de ma visite sur les lieux, j’ai été frappée par le nombre d’usagers qui, entrant dans le bâtiment, ont les yeux rivés à un petit écran (des téléphones intelligents surtout) et semblent peu attentifs à leur environnement. Intéressée par les enjeux liés à l’espace public, par l’architecture moderne et par les transformations des espaces urbains, j’ai choisi de travailler en réfléchissant au contexte où est installé Sightings.
Ma pratique prend habituellement la forme de vidéos que je présente en grands formats dans des espaces sombres. Sightings, avec ses arêtes blanches et ses faces transparentes de plexiglas, diffère radicalement des dispositifs dans lesquels je projette habituellement des images. Le temps d’arrêt qu’opère le cube dans l’espace mouvementé et ses propriétés de mise en scène dans un contexte universitaire m’amènent à proposer une installation s’articulant autour de l’idée de la pièce d’étude réalisée avec du mobilier couramment nommé mid-century, se référant ainsi à l’époque à laquelle le bâtiment fut construit. Exempte d’appareils électroniques, cette petite pièce d’étude contrasterait avec le contexte d’apprentissage actuel. Au fil de mes recherches, j’ai bifurqué toutefois vers le mobilier de l’école du Bauhaus. La forte propension de ce mouvement pour la recherche et l’engagement m’ont paru alors des principes idéaux à mettre en valeur dans ce dispositif expérimental qu’est Sightings.
J’ai choisi de reproduire une photographie documentaire de l’école du Bauhaus où convergent le design, la photographie et le théâtre2. Assise dans une chaise conçue par Marcel Breuer, une figure féminine nous interpelle avec son masque de théâtre3. J’ai fait reproduire l’image en noir et blanc sur une bannière que j’ai disposée dans le cube avec un exemplaire relativement récent de la chaise Vassily sur laquelle est assis le personnage de l’image. J’ai poursuivi en parallèle une recherche de meubles à l’université afin d’introduire dans le cube une pièce de mobilier provenant de l’institution. J’ai déniché dans un entrepôt un bureau de travail de bois plaqué, fait au Canada, datant probablement des années 1960, qui fut abandonné pour être remplacé par un modèle plus récent. Finalement, un tapis noir au sol unifie la proposition et allège l’aspect muséologique de l’installation. Ainsi, à travers cette mise en scène apparentée au ready-made, sont superposées diverses temporalités. Par cet assemblage, je tente d’évoquer les valeurs d’émancipation, d’avant-garde, de conscience sociale et politique associées au mouvement du Bauhaus, en espérant faire écho au contexte universitaire et à la place des arts et de la culture dans les espaces que nous fréquentons.
Myriam Yates
1. Anja Borck, « Seen But Ignored. Concordia University’s Henry Foss Hall Building in Montréal », JSSAC | JSÉAC, vol. 34, no 2, 2009, p. 61-74.
2. Photo de Erich Consemüller, scène du Bauhaus, 1926, collection privée de Brême. Fauteuil club (ou fauteuil Vassily) de Marcel Breuer, 1925.
3. Lis Beyer, étudiante au Bauhaus, ou Ise Gropius, travaillant au Bauhaus et épouse de Marcel Gropius, avec un masque de théâtre d’Oskar Schelmmer.
FermerMyriam Yates a une pratique principalement orientée autour de la photographie et de l’installation vidéo. Intéressée par les espaces publics et l’architecture, elle adopte une approche à la fois documentaire et poétique pour explorer les dimensions transitoires et historiques de lieux ayant une résonance dans l’esprit collectif. Yates est titulaire d’un baccalauréat en arts plastiques et d’une maîtrise en arts visuels et médiatiques de l’Université du Québec à Montréal. Ses œuvres ont été présentées lors d’événements tels que le Buenos Aires International Documentary Film Festival (2013), la Kasseler Dockfest (Kassel, Allemagne, 2012), l’Images Festival (Toronto, 2012), les Rencontres internationales Paris/Berlin/Madrid (2007, 2012, 2013, 2014), Le Mois de la Photo à Montréal (2007). Son travail a fait l’objet d’expositions individuelles et collectives, notamment à la Galerie d’art Foreman de l’Université Bishop’s (Sherbrooke, 2013), au Hessel Museum of Arts du CCS Bard (N. Y., 2012), lors de la Triennale québécoise au Musée d’art contemporain de Montréal (2011), à Optica, centre d’art contemporain (Montréal, 2009). En 2004, elle a participé au programme de résidence thématique IntraNation au Banff Centre. Lauréate du concours Cyberpitch (Festival du nouveau cinéma, Montréal), elle a participé à l’Interactive Screen program du New Media Institute du Banff Centre en 2005. Elle vient de compléter un mandat de quatre ans et demi en tant que directrice artistique et coordonnatrice de Sporobole, un centre en art actuel situé à Sherbrooke (Québec). Son travail a fait récemment l’objet d’un essai dans le n° 29 de la revue Préfix Photo consacré aux architectures improbables.